mercredi 10 avril 2013

Trail Sainte Victoire ou effet Venturi ?




 L’effet Venturi, du nom du physicien italien Giovanni Battista Venturi, est un phénomène de la dynamique des fluides où il y a formation d’une dépression dans une zone où les particules de fluides sont accélérées. « Venturi » désigne également le nom de la Montagne Sainte Victoire en occitan provençal…

L’édition 2013 est ma quatrième participation au Trail Sainte Victoire. Comme tous les ans un nouveau parcours est proposé. Cette année encore, près de 60 km et 3000 mètres de dénivelé positif. Autant dire qu’un beau challenge est en perspective. Cette course est toujours une épreuve physique et mentale, la montagne se laissant nettement moins apprivoiser que le renard de Saint-Exupéry.
Me concernant, la principale nouveauté cette année se focalise sur l’aspect collectif de la course. En effet, c’est avec Jean-François (voir mon récit du Trail de Bonnieux) que nous allons parcourir de part et d’autre le célébrissime massif Aixois. Collectif également parce qu’une délégation Parisienne et Lyonnaise de mon club, l’AS GroupeSFR, sera présente sur le parcours. J’espère pour eux qu’ils seront pleinement satisfaits de leur déplacement au pays de Cézanne.
Après 24h non-stop de pluie, la météo semble être plus clémente aujourd’hui. Elle annonce un grand soleil et même un peu de chaleur.  On a du mal à se l’imaginer car à 6h30 le dimanche matin, le ciel est encore brumeux et l’humidité doit encore dépasser les 70%. Il fait donc frisquet en tee-shirt sur la ligne de départ. Mais ça ne durera qu’une quinzaine de minute le temps de se mettre dans la course. Avec Jeff, nous partons dans le premier tiers du peloton. On laisse partir le troupeau sur motivé par départ lancé avec 10 minutes de retard.
Une large boucle dans Rousset permet d’étaler le peloton avant d’attaquer les premières bosses. Elles sont courtes mais raides et dans un terrain rendu très boueux à cause des averses de la veille. Du coup, ça bouchonne un peu. Ça permet à Jeff de rapidement se faire remarquer avec ses blagues lancées à qui veut bien l’entendre. On n’entend pas trop parler en ce début de course. Les corps sont manifestement encore endormis. Nous percevons seulement le bruit des chaussures dans les flaques d’eau et les mares de boue que nous rencontrerons régulièrement jusqu’au pied de la Sainte Victoire, située 10 km plus loin.


Nous mettrons moins de 1h20 pour la rejoindre et atteindre le premier ravitaillement. J’attends Jeff qui tarde à arriver. Quelques kilomètres avant, Il n’a rien trouvé de mieux que de s’arrêter pour une pause technique. Par la petite vidange, non. Mais la révision totale suite à un problème d’échappement ou un truc du genre… C’est donc à une allure très modérée que j’attaque la première montée du massif. 

Jeff me rejoindra à mi-hauteur, là où le sentier file vers la droite direction le célèbre « Pas du clapier ». Nous longerons la montagne sur 3 km, alternant courtes montées raides et traversées en balcon. La brume a laissée place à un soleil radieux, c’est somptueux ! Jeff est toujours derrière mais une dizaine de coureurs nous séparent. Toutefois sa discrétion légendaire ne m’empêche pas de l’entendre plaisanter avec participants qui le côtoient.


L’allure est très nettement ralentie à la montée du Pas du Clapier. Il faut dire qu’on passe quasiment de la course à pied à l’escalade. Les coureurs peu habitués à monter en s’aidant des mains et sensibles  au  vide sont forcément un peu en panique. Pour avoir grimpé ce single une bonne vingtaine de fois, je me régale dans cette brèche qui est pour moi un des plus beaux passages de la Sainte Victoire. Les 200 mètres de dénivelé sur 500 mètres (soit une pente à 40%) sont avalés en 15 minutes. A l’entraînement, ça passe beaucoup plus vite. Mais ici et maintenant, pas question de faire un record.
Arrivé sur les crêtes, c’est le grand beau temps. Pas de rafales de vent comme c’est souvent le cas à cet endroit mais une brise légère qui arrive à peine à nous rafraichir. J’avais prévu le coupe-vent dans le sac mais je n’aurai pas besoin de le sortir aujourd’hui. C’est incroyable d’avoir un temps pareil quand on sait celui qu’il faisait la veille. Le terrain reste glissant certes, mais sans commune mesure avec ce que j’avais imaginé. Les crêtes restent toutefois un passage délicat. En effet, les lapiaz (sol constitué de roche calcaire aux aspérités coupantes, sillonné de nombreuses rigoles, fissures et crevasses de taille variable) nous empêchent de garder une allure régulière et oblige à garder l’œil sur ses appuis au risque de perdre une ou deux chevilles. Heureusement, la pénibilité de la course est compensée par une vue splendide à 360° depuis laquelle la méditerranée et les Alpes du sud sont nettement visibles. C’est avec le groupe de la seconde et troisième féminine que je ferai un bon bout de chemin jusqu’au second ravitaillement, situé à la sortie de Vauvenargues.
Mais avant, il faut rejoindre le bas du massif par le sentier des Venturiers. Ce sentiers, largement fréquenté par les randonneurs est pourtant un des moins intéressants. Je descends tranquillement pour que Jeff puisse me rattraper sans avoir à forcer. Pour m’être fait piéger dans cette descente il y a 3 ans, je relâche au maximum afin de soulager les cuisses et éviter qu’elles souffrent plus tard. Approchant de Vauvenargues, j’entends crier mon nom… C’est Corinne, une collègue de travail qui m’a reconnue parmi les participants. Surpris, j’ai juste le temps de lui lancer un bonjour en retour. Désolé Corinne de ne pas avoir pris soin de m’arrêter quelques secondes. Ça ne m’a même pas effleuré l’esprit en plus. Pour en avoir rediscuté avec Jeff après coup (qui lui s’est bien évidement arrêté pour tailler une bavette), nous avons dans l’effort des réactions diamétralement opposées. A croire que la bulle dans laquelle je me réfugie en compétition me fait perdre un peu de lucidité et, à mon grand regret… d’humanité.
A Vauvenargues, nous suivons un chemin en bord de la route, puis traversons le village. Les filles sont toujours là et l’ambiance est euphorique, entre vannes et éclats de rire. Ce groupe de fille est décidément constitué de véritables pipelettes. Il ne manque que Jeff (qui arrivera quelques minutes plus tard) pour parfaire le tableau… Un tableau de Picasso bien sûr car c’est à Vauvenargues justement que se trouve le château du peintre. Savez-vous qu’il fut même inhumé sur le tertre de la terrasse ? Il y repose encore. Sa femme Jacqueline l’a rejoint quelques années plus tard. Nous frôlons d’ailleurs les murs du domaine avant d’attaquer à nouveau la montagne mais cette fois par sa face nord. En repartant du ravitaillement de Vauvenargues nous apercevons Sébastien, un des parisiens du club, qui semble avoir un peu de mal à repartir. Mais fausse alerte, il nous dit que tout va bien.
Nous grimpons en pente douce jusqu’à rejoindre le redoutable sentier des Plaideurs. J’ai fait cette montée plus d’une dizaine de fois et je n’ai pas le souvenir d’avoir été une seule fois serein. Ce n’est pourtant pas la côte la plus raide du massif mais elle arrive à un moment du parcours où la fatigue est déjà bien présente. De plus les nombreuses marches rocheuses finissent bien souvent de vous achever en déclenchant vos premières crampes, comme je l’ai vécu l’an dernier. C’est dur mais on s’accroche…
Pas après pas, le sommet tant convoité se dessine. Du moins en apparence, car la subtilité de cette montée est de faire croire que la crête sommitale est proche. La pente finie par redevenir acceptable pour nos cuisses. Enfin la crête ! Maintenant direction le Pic des Mouches, le plus haut sommet du massif qui culmine à 1011 mètres.

Sur les crêtes une légère brise permet de refroidir la mécanique qui a bien souffert dans la montée. J’ai le souvenir d’avoir bloqué sur les gouttes de sueurs qui perlaient de ma casquette. De quoi remplir un jerricane ! Les yeux rivés sur la pose de nos pieds, on a failli manquer d’une foulée la bifurcation suivante. Sans la présence d’un signaleur, on filait tout droit, évitant ainsi la descente du Baou de l’Aigle face au vide suivi de la remontée au Pic des Mouches, soit 150 mètres de dénivelé négatif puis positif en moins 1,5 km ! Ça aurait été dommage de manquer  cette magnifique descente aérienne en pleine face sud dans un passage qu’on imagine aisément réservé aux grimpeurs locaux au lézard ocellé (une espèce menacée soit dit en passant).
On sert les dents pour rejoindre le Pic des Mouches. En guise de Sarcophaga carnaria (nom savant de la mouche grise), ce sont des randonneurs qui nous accueillent avec enthousiasme au sommet. Ça fait du bien ! D’ailleurs, nous en rencontrerons beaucoup au cours de cette journée, toujours prêt à nous encourager et ayant à chaque fois le souci de ne pas encombrer le passage des coureurs. Merci à eux car nous avons perturbé la quiétude de certains. D’un autre côté, ces rencontres ont permis à Jeff de multiplier les occasions de tailler la bavette. Tout juste s’il ne s’arrête pas jouer avec les enfants. Ce qu’il fera d’ailleurs plus tard mais nous y reviendrons…
C’est un peu fébrile que je rejoins le Col des Portes. La fatigue est bien installée et malgré quelques gels et pâtes de fruits avalées je ne me sens pas au mieux. Je sais que ça va passer mais en attendant je passe un sale moment. Jeff fait ce qu’il peut pour me remonter le moral mais ses facéties ont plutôt l’effet l’inverse. Il me connait bien, vu qu’on s’entraîne ensemble toute la semaine. Il sait que je peux avoir mauvais caractère quand les choses ne se passent pas comme je le souhaite. Bref mon vieux Jeff, je n’ai pas été un super partenaire sur cette course et je m’en excuse encore. Je vais tâcher de travailler ça pour les prochaines courses et notamment la TDS ou nous vivrons, j’en suis persuadé, une grande aventure et une belle histoire d’amitié.
Nous atteignons enfin le ravitaillement de Puyloubier après une descente où j’ai eu l’impression de freiner tout le long. Il est urgent que je reprenne des forces maintenant. Si les principales difficultés sont passées, il reste encore une montée coriace jusqu’au refuge de Baudino à négocier. Avec la chaleur désormais bien présente la surchauffe n’est pas exclue. Nous prenons donc le temps de nous alimenter et de nous hydrater correctement. A nous deux, on doit facilement avoir avalé l’équivalent de 6 oranges en quelques secondes ! Au moment de repartir, nous voyons Sébastien arriver. Il a les traits tirés et le visage bien pâlot. Nous décidons alors de l’attendre pour faire un bout de chemin ensemble.



Sa présence me soulage car elle permet de redistribuer les échanges. Jeff parle à Sébastien qui lui répond. Je n’ai ainsi plus besoin de parler. Je me retrouve tout seul avec ma peine sans être perturbé, c’est presque le pied !
C’est d’ailleurs dans un silence de fin de vie que nous atteignons le refuge de Baudino. Cumulée à la fatigue, la chaleur générée par la réverbération du soleil sur les falaises rend cette ascension très difficile. Les rares coureurs que nous rattraperons se trouveront dans un état encore bien pire. Je vis quasiment la même chose au même endroit qu’il y a 3 ans, lors de ma première participation. J’entends la respiration de Sébastien s’emballer dans mon dos. Un cardio qui m’arrive pas à se calmer en marchant, ce n’est jamais très bon signe… Arrivé au refuge, il ne sera plus dans notre dos. Nous l’attendons à l’ombre. Quelques minutes après un coureur apparaît. Nous nous empressons de prendre des nouvelles de Sébastien. Il nous dit qu’il s’est arrêté se reposer un moment. Nous prévenons alors un bénévole de s’inquiéter de son état dès qu’il arrivera et repartons, mais à deux cette fois. Je sens que Jeff aimerait accélérer. De mon côté, je suis tiraillé entre accélérer (toujours avec difficulté) et ralentir pour que Sébastien nous rattrape.
Ce qu’il fera 5 kilomètres plus loin à Saint-Antonin-sur-Bayon, le dernier ravitaillement commun au premier de ce matin. Jeff l’incorrigible plaisante plus que jamais avec les bénévoles. Moi, je suis pressé d’en finir et souhaite repartir rapidement.
Plus que 10 km à parcourir, principalement en descente pour rejoindre Rousset. La dernière bosse sur un large sentier d’une centaine de mètre de dénivelé est relativement vite avalée, d’autant que notre trio semble reprendre un peu d’énergie. Jeff trouvera des ressources supplémentaires pour simuler une attaque de diligence après avoir croisé une petite famille installée dans une carriole tirée par deux ânes. Le visage à moitié caché dans son tee-shirt (qui sent l’écurie lui aussi) et les doigts en pistolet il hurle des sommations tel un bandit des grands chemins. Les plus surpris sont les ânes qui stoppent net et engagent un mouvement de recul. Des chevaux à la place des ânes et la carriole se serait à coup sûr renversée. Ça a le mérite de faire rire les enfants, mission accomplie !

Nous resterons dans une ambiance Far West en traversant des collines de terre rouge jusqu’aux portes de Rousset qui tranchent franchement avec la raideur calcaire du cœur du massif. Plus que 6 kilomètres ! Je retrouve alors mes jambes. Je peux à nouveau courir sans aucune difficulté. Mon coup de mou aura duré finalement plus de 20 km, soit au moins 4 heures… Je me surprends à attendre Sébastien qui vit une fin de course pénible. Afin d’éviter de perdre cette énergie retrouvée de façon providentielle je fais des grands cercles pour permettre à mes compagnons de me rejoindre. Les voilà ! Moins de 2 km maintenant ! Le moulin… la dernière pente raide, les vignes de Rousset et le village apparaît enfin. 200 mètres avant l’arrivée, je tends les mains à mes camarades. Conditionné pendant plus de 9 heures par les vannes et les blagues potaches de Jeff c’est moi qui prends le relais et qui me met à brailler au public « Sortez les appareils photos, voilà du lourd ! ». C’est sur une belle image de fraternité que nous passerons l’arche main dans la main.

Jean-Félix immortalise notre arrivée sur son téléphone. C’est sympa de sa part de nous avoir attendu ! Lui est arrivé en un temps canon de 7h52 et s’octroie une superbe 29ème place au scratch. Jérôme mettra 15 minutes de plus pour finir 36ème. Ils assurent nos collègues parisiens ! Pour nous trois, c’est en 9h36 que nous aurons bouclé ce parcours. Enfin, notre collègue Lyonnais Nicolas arrivera après 11h02 d’effort dont il se souviendra probablement très longtemps.
Deux jours après la course, c’est le moment du bilan. Pas de douleur particulière, tout va bien de ce côté-là. Humainement, j’aurai vécu une belle aventure en compagnie de Jeff. On a encore des choses à apprendre l’un de l’autre (et c’est tant mieux !) pour devenir « le duo de choc qui va tout péter à la TDS ». Sportivement, j’ai encore une préparation à optimiser. Une meilleure préparation physique, bien évidemment, mais surtout psychologique car c’est dans ce domaine que je me sens fragilisé actuellement. Connaissant les causes, je suis convaincu que cette faiblesse sera corrigée d’ici la fin de l’année.
Mon résultat sur cette édition est en deçà de ce que j’espérais faire. Au regard du classement et des coureurs que je connais, je pouvais raisonnablement prétendre mettre une heure de moins. Mais voilà, si le trail était une science exacte, il n’y aurait même plus besoin de prendre le départ. Ça prouve aussi, comme je le disais en introduction, qu’on ne peut pas étalonner la Montagne Sainte Victoire comme une course sur bitume et que la moindre défaillance est payée cash. C’est ce qui fait le charme du TSV :  il y a toujours des surprises à l’arrivée ! C’est ce que doivent encore se dire les 80 coureurs qui ont abandonné (soit 21% des partants), probablement victimes d’une dépression dans une zone où les particules de fluides sont accélérées.

Résumé Trail Sainte Victoire 2013 par Fred.