dimanche 11 novembre 2012

PTL 2012 – L'interview de l'équipe SFR : Les Carrément Trailers

Equipe constituée d’Arnaud Bihannic, Jean-Félix Chevassu et Emeric Virton.


A/ Préparation, équipement 

1. Pourquoi avez-vous voulu faire la PTL ?

[Arnaud] – Après plusieurs UTMB, plusieurs GRR et autres folies, nous sommes toujours à la recherche de courses extrêmes. Il est souvent très difficile de faire comprendre pourquoi on fait ce genre de course. Pourquoi courir ? Pourquoi aussi long et surtout pourquoi de plus en plus long ? Ma tendre épouse me supporte et me comprend mais je n’ai jamais réussi à vraiment transmettre pourquoi…certainement parce que seuls ceux qui vivent ce type d’expérience peuvent décrire ce qu’ils ressentent après plus de 50h d’effort non-stop. Le sentiment de vie qui se dégage après s’être donné à 100% est indescriptible. Ainsi, la PTL paraissait à la hauteur de notre folie, pour ne pas dire de notre connerie cette fois-ci. Nos records personnels se « limitaient » à l’UTMB et ses 166kms, alors partir sur une course de 300 bornes et 25 000 mètres de dénivelé, relevait d’un vrai challenge. Et soyons honnêtes, si on se pose la question de « est-ce qu’on va y arriver » c’est forcément une course à laquelle il faut participer !

La notion de course d’équipe nous a également beaucoup plu, c’était encore un moyen de se retrouver ensemble et partager sur plusieurs jours notre passion de la montagne et du running. Il est vrai qu’au début, je n’étais pas spécialement chaud. Je trouvais que le challenge allait trop loin par rapport à ce que nous avions fait auparavant. Trop loin en kilomètres et trop loin en technicité. N’oublions pas que le règlement de la course commence par « cette course est réservée aux montagnards avec des passages dangereux et exposés ». Cela calme lorsqu’on habite Paris et que la plus haute montagne à proximité se résume au parcours des 25 bosses de Fontainebleau. Mais bon, avec Félix et Emeric, je me suis dit qu’à trois on saurait surmonter cela. 


[J-Félix] – La PTL ? Ce n’est pas pour moi. Refaire l’UTMB ? Non merci. Un Ironman ? Tu plaisantes, je ne sais pas nager plus de 25m…. Ces phrases, elles sont bien de moi, j’admets les avoir prononcées un jour. Mais, ne dit-on pas « il ne faut jamais dire jamais ? ». L’idée de s’aligner sur la PTL a mis quelques années à germer jusqu’à ce que nous rencontrions un finisher PTL, Emeric et moi, en novembre 2011. Le récit de son aventure, de cette expérience inédite malgré sa longue pratique de l’ultra-trail, a immédiatement piqué notre curiosité et notre envie. C’était décidé, nous allions faire la PTL 2012. Deux formalités : convaincre Nono, car, à trois, c’est trois fois mieux et faire accepter l’idée d’une semaine de course à mon adorable et compréhensive épouse. Je peux le dire maintenant, cette course est de loin la plus intense que j’ai vécue jusque-là et vraiment je ne m’attendais pas à cela...

La Petite Trotte à Léon 2012 : une boucle de 300 km et 25 000 m D+ à faire en 138h max.

2. Comment gère-t-on une préparation pour une course d'équipe ?

[Arnaud] – On a finalement chacun nos vies et pour ma part je suis à l’étranger donc difficile de caser des séances d’entrainement ensemble. Par contre on se connaît extrêmement bien. Je peux avouer sans égard que ce sont mes plus fidèles compagnons de route. Entre tous nos entrainements à la grande époque de la Team Elite, toutes nos compétitions un peu partout sur le globe, nous avons beaucoup vécu ensemble et avons parcouru beaucoup de kilomètres côte à côte. Nous avons régulièrement partagé nos coups de mous, nos victoires, nos défaites. Ainsi, je n’avais pas vraiment d’inquiétude sur le sens de notre équipe, elle coulait de source. Je partais faire des bornes avec mes meilleurs potes. Il fallait surtout avoir en tête que les défaillances de l’un doivent être compensées mais avant tout acceptées par les autres, que la victoire ou la défaite sera commune. Une vraie communion doit s’instaurer dans l’équipe pour aller au bout. J’ai toujours eu la même philosophie lors des courses, j’ai toujours préféré ralentir pour rester avec un pote plutôt que faire un meilleur chrono. Pour moi le partage prime sur la performance. Je suis avant tout là pour me marrer et passer du temps avec mes amis, certainement pas pour gagner.

C’est plutôt la gestion de l’équipement qui a posé problème. On a vraiment essayé de réfléchir à 3 pour être sûrs de ne rien oublier en termes de nourriture et d’équipement. Nous avons fait un fichier où chacun mettait ce qu’il comptait amener. On a passé des mois dessus pour finalement douter comme jamais avant le départ. C’était vraiment une course hors norme, spéciale. Pas de ravitaillement, seulement 2 bases de vies, plusieurs jours et nuits à gérer seuls en montagne…pour des non montagnards comme nous, cela n’avait vraiment rien d’évident.

Finalement, ce n’est que la veille de la course que nous avons réellement compté et divisé les repas, partagé les équipements afin d’avoir des sacs à poids homogènes. Bien sûr on a laissé le plus lourd pour Félix afin de le ralentir un peu (ndlr : ça n’a même pas marché :!) 


[J-Félix] – On s’est créé en début d’année un petit forum privé, juste entre nous trois et on y jetait nos idées, tuyaux, questions, peurs, stratégies, etc. à toute heure. Nono a fait un gros travail de recherche sur les blogs et nous a apporté énormément d’informations utiles pour ce genre d’épreuve inconnue pour nous. J’ai également passé des heures à interviewer mon mentor de la Haute Montagne : Sir Olivier TheNormand :-). Ses conseils et son matériel gentiment prêté nous ont aidés à préparer et surtout à finir ce périple.

Je dirais que nous ne nous sommes pas vraiment préparés pour une course d’équipe. Nous avons bien tenté de faire un test sur la Montagn’Hard mais nous n’avons pas réussi à rester ensemble plus de 60 km. Je pense que ce test ne nous aurait pas servi à grand-chose. Je pensais qu’à la PTL nous n’aurions pas d’autre choix que de rester une équipe soudée. C’est finalement beaucoup plus compliqué que cela ! J’ai encore du travail à faire pour être mieux à l’écoute des autres. Rien, je pense, ne pouvait nous préparer à ce que nous avons vécu ensemble, il faut le vivre pour en prendre conscience. Cette aventure a été un concentré de vie !


Préparation des sandwichs pour varier des repas lyophilisés. 

3. Quel est votre équipement ? En particulier Chaussures de rando ou de trail ?

[Arnaud] – LE CASSE TETE ! Avec une météo si capricieuse en montagne et un sac que l’on souhaite aussi léger que possible, vous devez faire des choix ! On a hésité longtemps entre l’option refuge et l’option tente. Mais compte tenu des aléas qui peuvent arriver dans ce type de course, nous avons souhaité être autonome et surtout prudent en amenant une tente, le sac de couchage et le tapis de sol. Nos sacs avaient fier allure, ils allaient exploser ! Le tapis de sol visible à l’extérieur faisait sourire les autres concurrents. On passait vraiment pour des novices…ce qui n’était pas faux. Finalement notre équipement est révélateur de notre expérience en haute montagne…ZERO !

Deux jours avant le départ, en faisant les emplettes dans Chamonix, je me lui laissé convaincre par des gants imperméables. Ca faisait un peu gants de pêcheurs, mais ça nous a sauvé la vie je pense.

Côté « matos », nous avions tous les trois les dernières Salomon XT Wings 3 qui accrochent particulièrement bien, même sur les rochers glissants. Elles ont tenu toute la course mais n’en referont pas une autre. J’avais également la dernière lampe petzl NAO parfaite selon moi hormis par temps de neige où elle se met systématiquement en éclairage constant et use à fond la batterie.

Pour finir, j’ai pris en charge la partie pharmacie. Oui il ne faut pas oublier que cette course se fait sans assistance, sans ravitaillement, donc le moindre petit bobo peut être fatal. Et justement le fait d’avoir seringue et éosine toujours avec moi m’a sauvé. 


[J-Félix] – Le choix de l’équipement nous a occupés très longtemps et ce, jusqu’à quelques minutes avant le départ. En gros, c’était l’inconnu. D’habitude, en trail, nous n’avons pas à gérer et à transporter 4 repas par jour, le matériel pour le sommeil, la toilette et l’équipement pour toutes les conditions météo possibles. D’ailleurs, nous avons eu droit à une édition assez panachée côté climat (en même temps, je vois mal comment avoir une semaine complète de beau temps à 2000m d’altitude, fin août) : la course a commencé par deux jours chauds et beaux, puis deux jours de pluie et enfin deux jours de neige mais avec une arrivée sous le soleil, ouf :-) !

Le casse-tête était de tout faire entrer dans nos sacs et au départ, avec l’eau (2 litres), j’étais à plus de 12 kg sur le dos (3 kg de tente, 1,5 kg de duvet, 10 piles de rechange pour le GPS, etc.). L’avantage, c’est que plus on avance, plus on a faim et plus le sac s’allège :-p

Globalement le matos à bien tenu le choc, sauf mes chaussures XT Wings3 toutes neuves au départ, que j’ai dû ramener au magasin pour un SAV bien mérité !

Question lampe frontale, ma Petzl Ultra a fait des merveilles mais, bien trop lourde, j’ai préféré la troquer avec la Nao d’Emeric.

Le matériel qui nous a sauvés, au plus fort du gros temps, se résume à quatre choses : les gants imperméables respirants, le sur-pantalon, la veste goretex et le buff, je raconterai plus loin la petite histoire… 


L'équipe SFR au départ de la PTL 2012, à Chamonix.

B/ Gestion de course

4. La notion de course a-t-elle encore un sens sur la PTL ?

[Arnaud] – La PTL est une course sans classement ; pourtant on nous a souvent précisé aux camps de vie que nous étions dans les derniers. Ça m’a plutôt agacé finalement. J’avais en tête de faire une trotte comme son nom l’indique. Une trotte entre potes dans un décor splendide. Mais au fur et à mesure des heures et des jours, je me suis stressé sur le chronomètre; certainement à cause de notre arrivée à Champex-Lac aux limites de la barrière horaire. On a été obligé de passer la seconde et de maintenir un rythme hyper soutenu. A la fin de la course, je pète d’ailleurs complètement les plombs sur ce sujet. Marre de courir pour cette trotte. L’incohérence entre notre rythme et le principe de la course m’a rendu dingue. Donc effectivement il n’y a pas de classement, pas de réel vainqueur, mais il y a bien des barrières horaires à cause desquelles vous devez courir. 


[J-Félix] – Je dirai que le mot course a pris un nouveau sens sur la PTL. Je n’ai pas ressenti d’esprit de compétition sûrement parce que dès le 1er jour nous étions dans la toute fin du classement. Nos amis nous envoyaient notre position par SMS et cela ne me faisait ni chaud ni froid, et c’est bien la première fois que cela m’arrive. D’habitude je me bats pour faire la meilleure place possible, c’est ce qui me motive. Cette fois, je voulais rester dans l’aventure, aller le plus loin possible, tenir bon avec mes deux meilleurs potes. Naïf, je croyais sincèrement faire une « trotte », une randonnée avec feu de camp pour sortir ma guitare le soir, sous un ciel étoilé. Très vite, j’ai dû me rendre à l’évidence : on n’avance pas aussi vite que prévu et il va falloir trouver une nouvelle stratégie. Donc la PTL est bien une course, une course contre le temps, celui qui passe et celui qu’il fait !


5. Comment gérer la navigation sur des sentiers non balisés ?

[Arnaud] – J’ai suivi les instructions de ma femme : « Tu suis Félix ». Je ne l’ai pas quitté d’une semelle ! Sans rire j’avais en charge la lecture des cartes topographiques mais je me suis vite rendu compte que je manquais cruellement d’expérience dans leur lecture sur le terrain. Impossible de reconnaître telle ou telle montagne ou ruisseau. Bref j’ai été d’une inutilité affligeante. Heureusement et comme prévu, super Félix, alias le Missile, nous a guidés pendant 130h grâce à la trace GPS et surtout une connaissance de la montagne assez impressionnante. Il s’est paumé quelques fois et on a trouvé le moyen de lui gueuler dessus à cause de ça ;)

A partir de Morgex, cela a été épique. A notre arrivée (en bon derniers mais toujours là), on se doutait que les organisateurs nous préparaient un changement de parcours. Depuis les différents refuges croisés, on entendait des conditions terribles sur le Berrio Blanc et les Fours…on s’attendait donc à un parcours de repli. Nous arrivons vers 23 heures à Morgex, complètement morts après avoir jardiné (càd passer et rapasser au même endroit jusqu'à labourer le terrain) des heures sur les hauteurs du Col de Bard. Les organisateurs nous attendent et nous expliquent que, effectivement, compte tenu des conditions on change le parcours….par contre et je cite « pas question de diminuer la difficulté, on garde une PTL digne de ce nom »…me voilà rassuré !

Au menu : parcours UTMB à l’envers avec Dolonne - Col Checrouit - Mont Favre - Lac Combal – Col de Seigne - et on remonte vers le Col des Fours pour retrouver le tracé de la PTL vers le Col du Bonhomme. 
- « ok ? Vous avez retenu ? ». - « Heu... quoi y a pas de nouvelles cartes topographiques, une trace GPS à charger ? » 
- « Ah non, mais je peux vous l’écrire sur un post-it si vous voulez » 
- « Heuuu bon on va dormir 2h et on y va ! »


Scène surréaliste de mémorisation du parcours de replis.
On a un peu flippé en partant sans trace GPS mais nous étions en terrain connu. Chercouit, la Seigne, la Ville des Glaciers. Après plusieurs UTMB c’est du connu et ça rassure.

Le plus difficile reste la navigation de nuit car le GPS n’est que peu, voire pas du tout précis, quand on est en forêt à cause des arbres. Et quelques mètres d’écart ne se voient pas forcément. Ainsi, si vous loupez une bifurcation, vous pouvez partir pour de nombreuses heures de recherche. Absorbés par nos conversations, nous avons loupé un panneau à la sortie de Champex-Lac. On a galéré pendant des heures et on a dû finalement faire demi-tour pour se rendre compte de notre boulette, on était furax ! Après coup, on s’est dit que les organisateurs avaient du bien se marrer en voyant tous nos détours.

Ascension du col des Fours depuis la ville des Glaciers (France)

[J-Félix] – Au début, c'est-à-dire les 12 premières heures, quel pied ! Pas besoin d’allumer le GPS, les équipes devant nous montraient le chemin sur des kilomètres… C’était magnifique, toutes ces frontales dans la montagne, au fond des vallées, sur les crêtes et les sommets. Puis … on s’est retrouvé tout seul, gloups. Dans la montée du Buet, les dernières équipes sont passées devant. Cette montée était vraiment très abrupte et la progression était laborieuse, nous ne sommes pas des montagnards ! On a pris notre temps pour ne pas se mettre dans le rouge dès le premier jour. Nous avons pris notre premier petit déjeuner au lever du soleil, non loin du sommet du Buet, juste avant les premiers passages en via ferrata. Nous étions à l’abri d’un gros rocher pour couper le vent froid. Quelle vue sur le Mont Blanc, les Fiz et les Aiguilles Rouges ! 

J’étais l’orienteur de l’équipe. Je n’avais jamais utilisé de GPS jusqu’à ce jour. Le GPS est un outil d’une redoutable efficacité, si la trace à suivre est fiable (elle ne l’était pas toujours) et surtout si le ciel est dégagé (sans arbres, immeubles ou nuages). Il arrivait souvent que nous sortions de la trace GPS, il fallait donc vérifier s’il s’agissait d’une erreur de trace ou si nous nous étions écartés du parcours. Pas évident car à ces altitudes, il n’y a pas de sentier mais des kerns (petits tas de pierres) et des traces de peinture çà et là (facile à voir sous la neige …).

Bref, on a tout fait à la trace GPS (sauf sur la partie du parcours de repli que l’on a emprunté par mémorisation, un vrai sketch) et malgré toute mon attention, on a jardiné au moins quatre fois : la sortie de Martigny, la montée de Catogne, entre Champex et Bourg Saint Pierre et la descente vers Morgex. L’expérience que j’en retire est qu’il est préférable de reconnaître le parcours avant. Cela permet d’éviter tout le stress lié à l’orientation et surtout beaucoup de perte de temps à trouver le bon chemin. Je me souviens d’un passage de nuit, la neige tombait à l’horizontal en nous piquant les yeux et avait recouvert toutes les traces au sol, nous avancions « à l’aveugle » en suivant le GPS à travers les alpages (vers le col de Bard). 


6. Comment avez-vous géré le sommeil ? 

[Arnaud] – Le plus dur ! Nous sommes partis à 22h le lundi donc la première nuit et première journée du mardi se sont plutôt bien déroulées. Le début de la deuxième nuit a commencé à être dur car nous avions pris beaucoup de retard et nous étions donc pressés par les barrières horaires. Nous avons passé une nuit de quatre heures le mercredi matin dans la tente avant de repartir direction Champex.

Arrivés mercredi soir 18h à la limite de la barrière horaire à Champex, nous n’avions pas d’autre choix que de repartir sur une nuit blanche. On a bien tenu avec Félix malgré des passages vraiment très difficiles. Par contre, le début de nuit du jeudi a été terrible. On en était à plus de 80 heures de course avec seulement 4 heures de sommeil, j’étais KO debout. Sur les balcons du Lac Mauvoisin en Suisse, je ne rêvais que d’un lit, d’ailleurs je rêvais debout. Je ne répondais plus à Félix que par onomatopées. Des idées noires ont commencé à m’envahir, un grand moment de doute. Heureusement et comme toujours Félix était devant et je fixais ses chaussures en avançant en mode zombi. Il a réussi à atteindre le refuge, où il m’a posé, nourri et quasiment couché. Il ne s’est pas retenu de me réveiller 4 heures plus tard non plus;)

J’ai été impressionné par la capacité du corps à récupérer et à repartir. Evidemment les pieds piquent un peu mais aucune douleur musculaire et surtout plus de fatigue. On a refait une micro nuit de 2 heures le vendredi soir et 1 heure le samedi soir. Ça devenait de plus en plus dur, j’étais fatigué très tôt dans la journée et je commençais à ressentir de plus en plus la douleur. Mentalement aussi, le manque de sommeil joue un rôle important, j’ai commencé à devenir très irrité pour tout et n’importe quoi. J’étais vidé.
Micro sieste avec la pénible montée vers le Coeur (Suisse)

[J-Félix] – J’avais lu qu’à la PTL, il faut lutter contre la faim, la soif et le sommeil. De loin, la lutte contre le sommeil a été la plus difficile. Notre stratégie d’avant le départ était de dormir 4 heures par nuit. Au final, nous n’avons dormi que 10 heures en 6 jours ! 4 heures le mardi au pied de Catogne, 3 heures le jeudi à la cabane Chanrion, 2 heures le vendredi à Morgex et 1 heure le samedi au refuge de Tré La Tête. 

Jamais je n’aurais cru cela possible surtout avec deux nuits blanches complètes et avec les efforts physiques de chaque jour. Avant chaque sommeil, je me posais la même question : « dans quel état serai-je au réveil ? ». Et, oh surprise, que ce soit après 4 heures ou 1 heure de nuit, j’étais de nouveau en pleine forme, c’était incroyable mais lié à deux facteurs, selon moi :
- mon état de fraicheur avant la PTL (quatre semaines de vacances sans courir et à me reposer). 
- Ne pas trop courir pendant la PTL (facile, vu la technicité des sentiers et l’orientation permanente). 


J’ai vécu deux moments d’extrême fatigue ou j’ai dû me mettre des baffes et prendre un gel caféiné pour ne pas m’endormir en route : dans la descente ennuyeuse (pluie, brouillard) du col des Otanes vers le lac Mauvoisin et dans la montée en « mode zombie » vers le refuge de Tré La Tête lors de la dernière nuit.

En gros, pour essayer d’aller au bout, nous avons coupé drastiquement dans le poste « sommeil », nous n’avions pas le choix. 


7. La nourriture ?

[Arnaud] – On a suivi les conseils d’Olivier (Lenormand) de ne louper aucun repas. Ainsi, avant la course, on a préparé des sandwichs (ce qui a bien fait rire les organisateurs) et on les a trimbalés avec nous jusqu’au Buet ! Ca faisait un peu bizarre alors que la plupart des concurrents traçaient aux refuges, nous étions posés avec notre réchaud et nos lyophilisés. On a alterné repas aux refuges et pique-nique en fonction des heures de passages. Souvent les refuges étaient l’occasion de rester un peu au chaud et de prendre un bon déjeuner ou un café. Les petits déjeuners se faisaient dehors : muesli à l’eau froide…on y prend goût à force !

Nous avions reçu également des conseils d’Ultrasteph et avions acheté du Tipiak. Vingt minutes avant le repas, on mettait ça dans un ziplock avec de l’eau froide et on laissait macérer vingt minutes. Ca fait floc-floc dans le sac mais c’est délicieux et très nourrissant.

Pour les encas, on avait des barres céréales, des crackers, des abricots secs, des petits saucissons, des noix de cajou. On a rarement été en manque de nourriture à part sur certaines portions particulièrement longues.

On pouvait également compter sur la nature qui nous offrait de bonnes brimbelles dans les hauteurs.

N’oublions pas non plus quelques fraises Tagada pour les grands cols. 


[J-Félix] – Ahhhh la nourriture … ceux qui me connaissent savent que j’aime manger, beaucoup manger… bon et bien là, j’ai perdu 4 kg ! Même en remplissant le sac à ras bord, à la fin, il n’y avait plus rien du tout à manger, tout y est passé ! Nous n’avons pas sauté de repas, il était important de faire le plein et c’étaient nos seules pauses de la journée. Cela donnait par exemple, un dîner, le soir, vers 23h, avec un plat lyophilisé 1000 de kCal accompagné de crackers et d’un dessert, puis deux heures de sommeil, réveil et hop, un énorme «petit dej » à 2 heures du matin avec 500gr de muesli, une part de gatosport et un café avant de repartir. Tout cela ne pouvait se faire, qu’avec le réchaud, dehors dans la nuit, la neige et le froid, alors toujours motivés pour faire la popote ? La trotte à Léon s’est vite transformée en stage commando survie à la Rambo :-).

Cela dit, la nature nous a offert une barre céréale providentielle dans l’ascension de Catogne et des délicieuses myrtilles à plusieurs reprises.
[Arnaud] Et dire que tu m’as cassé les pieds pendant six jours en me répétant que c’était des brimbelles et pas des myrtilles :-)
[J-Félix] – Pour la gestion de l’eau, nous avons eu de la chance de trouver régulièrement des sources. Nous traitions l’eau avec des pastilles micropur et heureusement nous n’avons pas été malades pendant la course.

Récompense fruitière à chaque gros col (ici col de la Seigne).

8. Comment avez-vous géré, encaissé le dénivelé ?


[Arnaud] – Incroyablement bien. On s’est vraiment ménagé en montant tranquillement idem pour les descentes. On faisait bien attention à préserver les quadri sans avoir de garantie finalement qu’ils tiendraient 22 000 mètres de dénivelé. Ça paraît incroyable mais je n’ai eu aucune crampe, aucune courbature, aucune douleur musculaire pendant et après la course. Seule la voute plantaire a morflé et j’ai les pieds qui picotent encore après cinq jours. Cela prouve selon moi que nous avons été prudents avec raison afin de limiter les sollicitations trop prononcées et en y allant molo tout le long.

En outre, je suis impressionné par la capacité du corps à récupérer grâce à des micro-sommeils de 3 heures.

Longue ascension de l'arête est du Mont Buet (France).

[J-Félix] – Pour gérer le dénivelé, j’ai fait comme avec mes enfants :-) Je donnais le tempo et fixais des paliers de 100m D+. A chaque palier, une gorgée d’eau, une poignée de noix de cajou ou une fraise Tagada. Parfois, je trichais un peu pour faire 9 paliers de 100m D+ dans 1000 m D+, mais ils n’en ont jamais rien su… 

[Arnaud] – J’en étais sûr, je regardais mon chrono et me disais que sur certains 100m on avait vraiment été nul. Mais bon t’es pardonné.
[J-Félix] – On a donc géré l’effort sur la durée en montant doucement mais surement. Pour le D-, celui qui casse les quadriceps, en haute montagne, nous n’avions pas d’autre choix que de descendre avec extrême prudence, donc ici également, nous avons économisé nos forces. Je mentirais si je disais que je n’ai pas eu mal aux jambes au bout de quelques jours mais c’était largement supportable et cela ne m’a jamais limité ni en montée ni en descente. 


9. 
 Comment avez-vous géré les conditions météo ?

[Arnaud] – On a serré les dents. Entre les orages dans le Col de l’Ane avec la foudre qui tombait à quelques centaines de mètre puis la neige sur les grands cols nous avons vraiment été gâtés. J’ai béni mon sur-pantalon et mes gants imperméables tout au long de l’épreuve. Ajoutez un buff, avec un t-shirt technique manche longue et la gore-tex je n’ai jamais eu très froid. Et pourtant je suis frileux...Ah oui j’oubliais mes indispensables manchons porte-bonheur !
Val Ferret (Italie depuis le col de la Seigne).

[J-Félix] – Pour gérer la météo, nous avions eu quelques précieuses informations au moment du départ. Nous savions que le temps allait tourner à la pluie le mercredi après-midi puis au grand froid à partir de vendredi avec d’importantes chutes de neige au-dessus de 1500m. 

En effet, de Chamonix jusqu’à Champex-Lac (km 100) il a fait très beau, et nous avons même souffert de la chaleur et de la soif ce qui nous a également ralenti. A partir de Champex, la pluie est tombée non-stop pendant 30h jusqu’à la cabane Chanrion. En repartant vers le col de la Fenêtre, dans la nuit de jeudi à vendredi, nous étions sous la tempête de neige. Neige et pluie (lorsque nous descendions en fond de vallées) nous ont accompagnés jusqu’au samedi soir.

A Champex, le gros temps s’est levé. L’organisation nous a mis en garde sur les dangers du passage du col de l’Ane par temps orageux. Le mercredi vers minuit, en bas du col, à Bourg Saint Pierre, il pleuvait mais l’orage semblait passé. Nous avons décidé d’avancer au maximum avant que les conditions ne se dégradent d’avantage. Nous savions que le prochain refuge était à 12 heures de marche, cette 2eme nuit blanche s’est avérée cauchemardesque. Il pleuvait, la nuit était assombrie par les gros nuages noirs, la montagne se dressait devant nous, le col était tellement haut qu’il n’était pas visible. Très vite, il n’y a eu plus de sentier juste un immense pierrier jonché d’énormes blocs rendus glissants. Petit à petit le ciel s’est mis à gronder et les éclairs déchiraient la nuit. Il était trop tard pour rebrousser chemin, nous avions déjà fait la moitié des 2000 mètres de D+ jusqu’au col. J’avais l’impression que la foudre tombait juste à côté de nous. Mais je savais que non, car je comptais dans ma tête les secondes qui s’écoulaient entre l’éclair et le tonnerre… l’impact était à plusieurs kilomètres, dans la vallée suivante. Perturbés par la fatigue, ahuris par la peur, nous ne remarquions pas que la pluie et le froid nous usaient, nos mains se gelaient sur les rochers. Tout à coup, nous avons eu l’idée saugrenue de nous couvrir de notre sur-pantalon et d’enfiler nos gants imperméables, vive l’éclair de lucidité ! A partir de ce moment-là, nous revivions, nous n’avions plus froid et nous approchions du col, tout allait mieux. De mémoire, nous n’allions plus quitter les gants et le sur-pantalon jusqu’aux Houches le dimanche matin ! 


10. Des blessures ?

[Arnaud] – Les ampoules !!! Pourtant j’avais préparé mes pieds avec jus de citron à gogo durant les derniers mois. Malheureusement le terrain technique et la durée ont eu raison de mes pieds. Résultat : Dès le km 80 j’ai commencé à sentir les picotements. J’ai été donc contraint de serrer les dents et de me faire des séances régulières de vidange avec une seringue pour vider l’ampoule puis de l’éosine à injecter pour l’assécher. Je terminais avec une couche de NOK pour camoufler la douleur et limiter les frottements. Ça a duré toute la semaine, je n’en pouvais plus. Tel un camé, je me posais sur un rocher, sortais mon matos et me faisais mes soins. Au bout de quelques jours, mes mains tremblaient tellement que je perçais plusieurs trous. Je visais de moins en moins bien. J’étais tellement fatigué que ne savais même plus s’il fallait mettre l’éosine avant, pendant, après. Un calvaire ! Vers la fin, la douleur des ampoules multi-persées ajoutée à une inflammation de la voute plantaire m’ont obligé à tourner au Doliprane.

J’ai eu également quelques infections cutanées dues à la durée de l’effort, les cailloux, et puis soyons clair le manque d’hygiène quand vous restez si longtemps en plein nature.

D’ailleurs on a eu la chance de pouvoir prendre une douche à Morgex, un délice mais l’eau était noire de chez noire !

Triste rituel bi-quotidien d'Arnaud pour soigner ses ampoules.

[J-Félix] – Non, personnellement, rien, pas d’ampoules, pas de bobo pendant la course. Cela dit, j’ai ressenti quelques douleurs parfois. La première nuit, j’avais déjà mal aux jambes après 3 semaines de repos, sans courir, j’avais les douleurs de reprise d’activité physique intense. Puis c’est passé dès le lendemain. Ensuite, j’ai désactivé les capteurs de douleur jusqu’à la fin. Parfois, je me disais, tien est-ce que j’ai mal aux jambes ? Oui je sentais les douleurs aux cuisses, genoux, tendons. Puis je me demandais si j’avais mal au dos. Ah, oui tien, je sens mon dos qui a du mal à supporter le sac. Et les épaules ? Oh oui, mes épaules sont tout endolories. Et ainsi de suite. A la fin, je me disais qu’il fallait continuer et j’oubliais aussitôt les douleurs. On recevait de nombreux SMS du style : « On aimerait être avec vous, on vous envie, vous avez de la chance ». Franchement, on en bavait et on se disait, s’ils savaient … ils n’écriraient pas cela. Je me remémore aussi un moment un peu pénible pour moi, lorsque je me suis mis à saigner du nez, sans doute à cause d’un coup de fatigue, dans la montée vers le col Vertosan : ça a quand même duré 3 heures ! C’était également énervant pour Nono car je n’arrêtais pas de renifler bruyamment pour essayer de stopper l’hémorragie…

C/ Les rencontres 


11. Qu'est-ce qu'ils ont de plus que vous les premiers ? 

[Arnaud] On a été assez impressionné, voir flippé quand on a vu les sacs de certains concurrents au départ. Alors que nous avions les sacs plein de bouffe, la tente, les tapis de sol, le réchaud, certains partaient chargés comme pour un simple UTMB. Un petit sac Salomon, les bâtons et basta.

On a vite compris que de nombreuses équipes avaient comme tactique de filer de refuges en refuges. D’ailleurs les premiers terminent en faisant des pauses de 4h aux refuges de nuit. Bref partir léger semblait la bonne tactique. Il est vrai que monter tout notre bordel en haut des sommets nous a épuisés. On devait porter entre 10 et 12 kg chacun. Sur 300km, ça tire sérieusement sur les épaules !

Un autre point que je retiens est la capacité à marcher vite sur plat tel un vrai randonneur. J’avais parfois du mal à suivre certaines équipes et j’étais obligé de courir derrière alors que eux marchaient simplement avec des bâtons mais beaucoup plus efficacement que moi visiblement ! 


[J-Félix] – Les premiers, on les a vu, ils étaient à côté de nous au départ. Ils sont expérimentés, ce sont des montagnards et ils connaissent le parcours par-cœur grâce à des reconnaissances préalables. Ils sont deux et de niveau équivalent donc personne n’attend l’autre. De notre côté, on était des « bleus » de la haute montagne, pas à l’aise sur les traces escarpées, et mon vertige n’arrange rien ! Nous n’étions pas tous au même niveau. Emeric était fatigué avant le départ. Du coup, il a préféré arrêter au km 100 pour ne plus nous ralentir. Nono et moi avions le même niveau et ça nous a réussi. 

12. Qu'est-ce qui vous a bluffés chez les autres concurrent(e)s ? 

[Arnaud] On a fait régulièrement le yoyo avec une équipe de 2 italiennes. Pour être très honnêtes ce sont elles qui nous ont attendus en haut du Col de l’Ane pour la terrible descente sous la pluie et l’orage en via ferrata et échelles. Bref elles avaient une volonté hors norme. Elles dormaient très peu, elles montaient fort et alors même qu’une des filles s’était blessée elles ont continué à garder un rythme terrible. On les a dépassées après Dolonne en ne donnant pas cher de leur suite et pourtant on a appris à notre arrivée qu’elles n’étaient qu’à quelques heures au niveau de Bellevue. Incroyable !

Vue sur la chaîne du Mont Blanc depuis le Mont Buet.

[J-Félix] – Nous avons côtoyé peu d’équipes. Mais ces équipes m’ont bluffé. Je pense à l’équipe « I Furetti », 2 italiennes qui avaient abandonné l’an passé à la PTL. Elles étaient motivées comme jamais, et sur leur postérieur était floqué l’inscription « follow me if you can », véridique ! A Bourg Saint Pierre, elles m’accostent et me demandent si nous repartons vers le col de l’Ane. J’acquiesce et elles m’expliquent qu’elles ont peur de passer le col toutes seules dans la nuit. Elles racontent alors qu’elles sont déjà montées par le passé, et que, même de jour, elles n’ont jamais osé descendre par l’autre versant ?!? Sans même réfléchir, j’accepte volontiers, c’est plus sympa à deux équipes, non ? Elles insistent pour partir 5 minutes avant nous, en expliquant qu’elles montent tout doucement et qu’on les rattrapera très vite … Comment dire, euh, on ne les a jamais revue avant le sommet du col. On voyait bien leur frontale mais elles montaient trop vite. J’étais persuadé qu’elles avaient changé d’avis et qu’elles se débrouilleraient toutes seules. En fait, non, elles nous attendaient tranquillement tout en haut, à l’abri de la tempête, dans un cercle de rochers. En regardant en bas, j’ai compris alors le fondement de leur requête. J’ai désactivé ma tare « vertige » et je suis passé devant pour ouvrir la voie et les guider mètre par mètre, et Nono fermait la marche. Ce passage vertical, à flanc de parois avec échelles et chaines métalliques était le plus technique du parcours. Il a fallu qu’on y soit de nuit et sous la pluie ! J’ai lu plus tard, sur le site de la PTL, que beaucoup d’équipes étaient passées par un autre col, beaucoup moins exposé. Après ce passage délicat, il y avait une longue descente et les « I Furetti » qui aurait pu repartir de plus belle, nous ont attendu régulièrement pour nous montrer le chemin jusqu’en bas. J’ai trouvé ça super sympa. Nous les avons recroisées régulièrement les jours suivants mais elles repartaient toujours avant nous ! Nous les avons retrouvées notamment dans le col de Bard alors qu’elles s’étaient perdues dans la tempête de neige. L’une était blessée à un genou et nous sommes descendu avec elles jusqu’à Morgex. Elle boitait et souffrait tellement qu’elle était en pleurs. Je pensais vraiment qu’elles s’arrêteraient à Morgex, mais non, là encore elles sont reparties avant nous. 

Il y a aussi l’équipe féminine des « Suissesses ». Elles avaient 1 heure de retard sur nous à la cabane Panossière surplombant le glacier du grand Combin. 3 heures plus tard, elles nous doublaient dans les balcons au-dessus du lac de Mauvoisin. Nous devions courir pour les suivre ! Finalement, nous sommes arrivés épuisés, tous les 4, à la cabane Chanrion. Dehors, la nuit accompagnée d’un épais brouillard était tombée. Nous apprendrons plus tard qu’elles ont abandonné à cet endroit. 


13. Des rencontres qui vous ont marquées ? 

[Arnaud] Une rencontre du 3ème type ! Nous sommes en Italie près du Col de Bard. Avant d’entamer le col et avant que la nuit tombe nous cherchons un endroit pour manger notre Tipiak. Des vieux bâtiments en ruine ne font pas très envie et nous décidons d’avancer. Nous arrivons près d’une ferme avec un banc à l’extérieur. Nous nous asseyons et c’est alors que les habitants nous ouvrent leur porte et nous invite à rentrer.

Une famille très simple, éleveurs de vaches laitières qui nous offre le plus généreux des repas que j’ai pu connaître. Fromage, pain, saucisson, café, ils nous dorlotent près d’un poêle à bois pendant 1h. Nous leur proposons de gouter notre Tipiak. On discute, on partage, une vraie leçon de vie ! Merci ! Nous repartons revigorés, chauffés mais surtout émus par cette famille si généreuse.
Chaque arrivée aux différents sites où il était possible de dormir était également très agréable. Cela donnait l’occasion de voir quelques équipes qui trainaient avec nous en queue de peloton et avec qui nous faisions régulièrement le yoyo. Il y avait également les organisateurs avec des visages rassurants et bienveillants. Compte tenu des conditions météos qui se dégradaient je me demandais à chaque fois s’ils n’allaient pas nous annoncer l’arrêt de la course ou un changement de parcours. Cette course hors norme privilégie la proximité et l’amitié. 

[J-Félix] – Nous n’avons pas rencontré grand monde sur ce parcours en haute montagne ! J’ai été ému aux larmes par l’accueil et la générosité de cette famille d’éleveurs italiens dont parle Nono. C’était providentiel. Nous n’avions plus qu’une dose de Tipiak à manger et Morgex était encore loin … Ils avaient vu passer des coureurs toute la journée et ne savaient pas ce qui se passait. Nous étions la dernière équipe et nous avons pu faire une bonne pause et profiter d’un excellent repas au chaud. Dehors, la nuit tombait ainsi que de gros flocons de neige. Je me souviendrai toute ma vie du regard admiratif et curieux du jeune éleveur qui connaissait par cœur ses montagnes et à qui nous racontions notre périple.

Nous avons aussi croisé un randonneur atypique alors que nous montions vers l’arête du Mont Favre : il neigeait, nous étions bien couverts et lui était en chemisette déboutonnée ! Il nous disait qu’il n’avait pas froid et nous a simplement prévenu que le col de la Seigne était sous 20 cm de neige !

Quelle joie également de retrouver l’équipe technique chargée du suivi temps réel des équipes. Depuis Chamonix chaque équipe était dotée d’un boitier GPS qui émettait sa position toutes les 10 minutes vers le PC course. Naturellement ce boitier devait être changé régulièrement à cause de l’autonomie des batteries. Nous avions placé notre boitier en haut de mon sac à dos. Je demandais sans cesse à Emeric ou Arnaud s’ils voyaient toujours le clignotement des voyants du boitier, signe de bon fonctionnement. Il était primordial que nos « suiveurs » à distance soient rassurés par notre progression autour du Mont Blanc. C’était donc avec une certaine émotion que nous retrouvions cette charmante équipe technique garante de ce lien avec le reste du monde. Tout d’abord à Bourg-Saint-Pierre, puis à Morgex et enfin à l’arrivée.

Une autre rencontre inattendue à notre arrivée au 1er checkpoint du barrage Emosson : une équipe de reporters de TF1. Ils nous ont demandé si nous étions les premiers (ils étaient largement à la bourre), on a joué le jeu. Nous les avons emmenés faire des belles prises dans les sentiers vers Fenestral. Il en est resté un beau sujet sur la PTL diffusé le jeudi soir au 20h.

Je n’oublie pas non plus JP qui a dû supporter tous nos caprices et nos apporter dosettes de café et sandwichs à Champex et Morgex, merci JP.

Quelques rencontres amusantes et pittoresques : des bouquetins dans l’arête Est du Buet, des marmottes dans le col de Vertosan et des tonnes de limaces sur les sentiers humides …


Rencontre peu farouche vers la Tête du Cheval Blanc (frontière France-Suisse)

D/ Le parcours 

14. Un passage que vous avez préféré ?


[Arnaud] Lorsque nous arrivons en haut du col du Bonhomme avec Félix, le soleil est en train de se coucher. Le col est enneigé avec une bonne épaisseur de poudreuse de 10 cm. Nous prenons le temps de profiter du spectacle en portant notre regard au loin sur les sommets enneigés. Je suis ému d’être ici, en terrain connu dans ce décor splendide. La fin est proche. Je regarde les cartes et il ne reste plus grand-chose…enfin ! Galvanisés par le décor, nous partons dans une descente en mode schussssss dantesque ! On glisse plus que l’on ne court, on manque quelques gadins (certains sont réussis) mais surtout on s’éclate comme des mômes. La nuit tombe et nous ressemblons à 2 bobsleighs avec frontale sur les pentes du Bonhomme. Incroyable. 

Une super descente qui nous permet d’ailleurs de rattraper puis de dépasser une dizaine de personnes dans la montée vers le refuge de Tré la Tête.

De façon générale les cols enneigés étaient vraiment du pur bonheur. La Seigne, Les Fours, Le Bonhomme, que des grands moments ! Les concurrents devant laissaient même des petits bonhommes de neige avec l’inscription PTL. On s’est fait notre inscription évidemment.

Passage du col des Fours (France), dans 30 cm de poudreuse.

[J-Félix] – J'ai adoré toute la boucle de Chamonix à Chamonix. Si je devais choisir une portion favorite ce serait le col des Fours. Ce fut un moment magique, nous étions tout seuls, Nono et moi, sur un monotrace creusé dans 30 cm de neige par les quelques équipes ayant osé affronter cette ascension très raide et épuisante : la neige rendait nos appuis glissants si bien que nous patinions. Par moment, mes bâtons s'enfonçaient complétement dans l'épaisseur de la neige. Je m'amusais à faire rouler des blocs de neige dans la pente... Le soleil était couchant, il n'y avait aucun bruit, nous étions comme des gosses au milieu d'un gigantesque parc de jeux. 

Sinon, étant un grand fan des descentes, je me suis régalé dans les pierriers du col des Guides vers Champex et encore d'avantage dans les longues glissades sur la neige en descendant vers la croix du Bonhomme puis vers le col du même nom. Comme toujours, je me suis emballé dans la descente et ensuite … je l'ai payé cher dans la remontée vers le refuge de Tré la tête, j'ai tiré la langue derrière un Nono surboosté par l'envie de rejoindre la chaleur du dernier refuge avant l'arrivée.


[Arnaud] Heuuu comment te dire… la descente du Col des Guides…Non je ne peux pas en fait, seule une photo peut à peu près donner une idée de la difficulté de cette descente. Ça reste un de mes moments les plus stressants personnellement :-). Entre le prez qui avait décidé d’abandonner, le chrono qui tournait alors qu’on était aux limites de la barrière horaire et cette descente hyper technique, j’ai vraiment cru qu’on allait être disqualifié.

Descente vertigineuse depuis le col des Guides vers Champex-Lac (Suisse).

15. A l’inverse un passage difficile ? 

[Arnaud] Le choix est vaste :-) Entre les descentes vertigineuses en via ferrata depuis le Buet, les glaciers gelés, les pierriers qui cassent, les montées qui piquent, les descentes glissantes. Bref on a été gâtés et on a goûté à tout.

Mais sans réellement hésiter le plus dur a été la montée et la descente du Col de l’Ane à plus de 3000 m d’altitude. Une montée terrible de nuit, 2500 m de D+ non-stop. Les 1000 / 500 derniers m de D+ ont été un pur calvaire. Pluie, grêle, orage avec la foudre qui tombait à quelques mètres. Plus bas à Bourg-St-Pierre quelqu’un nous a même sorti « oh non, faut surtout pas aller là-haut en temps d’orage, beaucoup se sont pris la foudre ». On était terrorisé et frigorifié. On s’est arrêté autant que faire se peut à l’abri d’un bloc rocheux pour enfiler sur-pantalon et gants imperméables (que j’ai béni toute la course). On a serré les dents on est monté, c’était interminable. Après ce périple on a enchaîné sur la pire descente que j’ai connue. Nuit noire de chez noire, pluie battante, éclairs et un devers monstrueux à descendre en via ferrata. On était accompagné d’une équipe de 2 nanas qui avançaient sans peu derrière un Félix toujours aussi puissant et rassurant. J’ai croisé les doigts, fermer les yeux pour ainsi dire et suivi le groupe. J’ai rarement eu aussi peur dans une course.

Via Ferrata dans le ressaut rocheux de l'arête est du Mont Buet.

[J-Félix] – Le passage le plus difficile pour moi est la descente du col de Bard vers Morgex. Ce n'était pas difficile physiquement ou particulièrement dangereux mais j'étais perdu. Le GPS et le roadbook nous indiquaient d'emprunter un chemin qui devait monter à droite et impossible de le trouver ... Nous avons cherché un bon moment en remontant la pente puis en redescendant. Au final, l'équipe italienne « I Furetti » nous a rejoint et nous nous sommes séparés pour doubler nos chances de trouver le sentier. On a vraiment cherché longtemps et au final, le sentier était un plus bas et descendait, bref la trace GPS était erronée. Quelques kilomètres plus bas, nous traversions des hameaux au-dessus de Morgex. Nous devions rejoindre un château en ruine. J’avais trouvé une ruine, j’étais alors persuadé que nous étions sur le bon chemin or le chemin s'arrêtait net. Il est 23h, le village était endormi, je courais partout, je cherchais, je rentrais dans les jardins des maisons, je pestais, je criais, j’étais de nouveau perdu ! Nono était plus bas, il me regardait, dubitatif, et il m'appellait. Je ne savais plus quoi faire, nous n’étions plus qu’à quelques kilomètres de la base de vie de Morgex et j’étais perdu dans un village ! Je refusais de l’admettre. Le GPS était dans les choux et moi aussi, j'avais perdu toute lucidité. Voilà des heures et des jours que j’orientais dans la montagne et là j’ai craqué. Finalement, je me suis résigné et j’ai rejoint Nono pour lui avouer que cette fois je ne m’en sortais pas tout seul. Nous avons mis en commun le peu de nos neurones encore allumés et nous avons relis calmement le roadbook. On a retrouvé le bon chemin, on s’est pressé car on en avait vraiment marre à ce moment-là. Je me disais tout bas, vivement Morgex, vu les conditions météo, ils vont sûrement stopper la course … J’en rêvais car j’avais vraiment envie d’arrêter. 

16. Comment s’occupe-t-on pendant 130 h ? 

[Arnaud] Entre nous 3 dur de s’ennuyer, il y en a toujours un pour sortir une connerie, une saloperie, un bruit. Au bout de quelques jours on prend notre rythme, nos marques. On se comprend dans l’effort et quand on recherche du réconfort. Notre passe-temps préféré était d’allumer rapidement le portable pour recevoir les textos en attente. On faisait des paris sur le nombre de texto reçus (d’ailleurs Félix il me semble que tu me dois une binouze ;)

La lecture de ces messages était un vrai moment de réconfort, toutes nos familles et tous nos amis qui pensaient à nous et qui nous encourageaient. On sentait vraiment que tout le monde était derrière nous et nous regardait derrière son écran. Ça m’a rappelé ma première diagonale des fous où ma femme découvrait le système de localisation avec ce point qui clignote à l’écran et qui avance tout doucement. J’essayais de m’imaginer le visage de ma famille, de mes amis lorsqu’ils regardaient l’écran et qu’ils nous voyaient passer tel ou tel col.

D’ailleurs les dernières nuits, ça nous a vraiment boostés. On se demandait quelle tête ils allaient faire le matin en allument le PC en voyant ce qu’on avait réussi à avaler en une nuit.

C’est vrai qu’au départ c’est une course intérieure, un défi personnel mais toute zone de réconfort n’est que bonheur et ces séances de lecture SMS resteront dans ma mémoire.
Une autre occupation durant ces jours a été la découverte ! Découverte des lieux, des paysages à couper le souffle. En plus avec Félix vous vous croyez en live sur National Geographic : 

« Regarde ces traces blanches sur les cailloux, c’est le glacier qui avance et frotte sur le granit »

« Tu as vu ces pierres rondes, elles ont été polies par le courant »

« Tu as vu la marmotte, elle nous surveille. Si elle nous voit elle va se mettre à siffler »

« Regarde cette fleur…. »

« Tu sais que la construction du barrage rentre autant dehors que dedans la roche »

«Regarde… »

MERDE !!! Félix je suis en train de crever derrière toi ! J’ai la langue par terre, les yeux fermés et je titube !

Tentative d'envoi d'un SMS au passage du col Champillon (Italie).

[J-Félix] – Curieusement, on ne s’est pas ennuyé ! Les paysages étaient splendides et ne ressemblaient pas à ceux que nous avions déjà pu voir pendant les courses précédentes : la haute montagne, c’est vraiment différent. J’ai passé beaucoup de temps à observer les vallées, les sommets, les glaciers, les moraines, les ressauts rocheux, les bisses, les via ferrata,.. pour admirer mais surtout pour chercher notre chemin :-). 

Nous nous étions réparti les rôles : Nono était le reporter photo, Prez devait poster une photo par jour sur Facebook et garder un téléphone de secours suffisamment chargé. De mon côté, je gérais, au quotidien, la communication avec le monde extérieur, uniquement via SMS. Je devais gérer l’autonomie de la batterie du téléphone pour tenir la semaine (pas de quoi le recharger sur le parcours). Mon téléphone devait être allumé pour rester joignable par le PC course (ils ne nous ont jamais appelé, preuve que nous étions sur la bonne voie :-)).

J’ai passé beaucoup de temps à écrire et lire des SMS de nos familles et amis. Chaque matin je rédigeais les nouvelles quotidiennes de l’équipe. Comment s’était passée la nuit, où nous en étions ainsi l’étape que nous comptions faire dans la journée. Compte tenu de la couverture radio sur le parcours, nous recevions les SMS par salve, généralement lorsque nous approchions des cols. C’était un bonheur inouï de recevoir tous ces messages d’encouragement et de réconfort. Au fil des jours nous sentions que de plus en plus de personnes suivaient notre périple et nous rêvions de l’arrivée pour lire tous les messages.

Ce que j’ai découvert également, pendant de longues heures de pseudo-silence, est digne du Guinness des records. Un hoquet qui dure 24 heures ! Oui ça existe, vraiment ! Et c’est aussi pénible pour celui qui l’a que pour ceux qui l’entendent, c’est usant à un point … Nous avons pourtant tout essayé, les frayeurs d’une arrête vertigineuse, la grande claque dans le dos, boire 2 litres la tête en bas, sautiller sur un pied avec les bras en l’air … rien n’y faisait ! Incroyable ce Prez, mais vrai !

Sinon, lorsque je sentais venir un coup de mou, hop, je me mettais à chanter à tue-tête l’hymne de la PTL : la musique du film « Le Dernier des Mohicans ». Cet hymne m’avait fait frissonner lors du départ à Chamonix. La foule criait : « bonne course … à dans une semaine … cette musique vous accueillera à l’arrivée … ». A chaque fois que j’y repensais, j’en avais de nouveau la chair de poule et je me mettais à imaginer l’arrivée, si éloignée, si insaisissable... Et comme je chantais super faux, ça nous faisait tous marrer et on reprenait du poil de la bête. 


E/ L’équipe 


17. Avez-vous eu des doutes durant le parcours ? 

[Arnaud] La course est longue et vous avez vraiment le temps de gamberger sur 1- la possibilité temporelle de terminer et 2- les capacités physiques et physiologiques qui doivent suivre. Entre la fatigue, la faim, le froid, les barrières horaires, cette trotte que j’imaginais en mode rando n’est pas vraiment de tout repos. Il faut lutter chaque instant pour relancer, repartir, dormir seulement 1h pour recharger juste ce qu’il faut sans perdre trop de temps. Se mettre des claques pour ne pas s’endormir en courant et se motiver encore et encore. Plus que 15 cols, plus que 9…. 

Après notre début de course trop lent, on a été rapidement limite au niveau des barrières et on a donc été obligé de se stresser.

Le pire ? En haut de Catogne je regarde ma montre et je m’aperçois avec effroi qu’il reste moins de 3h avant la barrière horaire de Champex-Lac avec une descente particulièrement difficile ou plutôt « raide et exposée » comme précisé dans le roadbook. Le Prez est au plus mal et vient de nous balancer sa décision d’abandonner. On essaye de le remotiver mais il n’est déjà plus dans la course. Trop dur, trop éprouvant pour un Prez en manque de sommeil et de préparation. J’alterne mon regard sur le chrono, l’altimètre et Champex qui n’arrive toujours pas. On pousse et on hurle sur le Prez qui chiale comme un môme. On arrive 2 minutes avant la barrière horaire, ouf ! Les organisateurs nous laissent juste le temps de nous changer et de nous alimenter mais nous n’avons pas le choix que de repartir pour une nuit blanche. Le Prez, lui, restera à Champex et nous laissera une chance de finir l’aventure. Oui mon Prez, notre équipe sera finisher !

L'équipe à la base de vie de Champex-Lac (Suisse).

[J-Félix] – Je n’ai jamais autant douté que sur cette course : est-on sur la bonne route ? Allons-nous trouver un ruisseau pour remplir nos bidons ? Vont-ils stopper la course ? Comment va-t-on pouvoir continuer sans dormir ? Comment faire pour continuer à rester motivé et pour avancer alors qu’il n’est pratiquement plus possible d’arriver dans les temps ? Les doutes ne m’ont pas quittés de toute la course. 

18. A quel moment vous avez su que c'était bon ? 

[Arnaud] Sans hésiter à Morgex (en Italie). Alors que l’on part à la limite de la barrière horaire depuis la base vie Suisse de Champex (km 80), nous arrivons avec environ 7h d’avance à Morgex (km 210) et ce grâce à une nuit blanche, 2 autres nuits de 2h et surtout un rythme bien soutenu tout le long.

On s’est de nouveau fait violence pour ne dormir que 2h à Morgex et on est repartit en serrant les dents. On venait d’apprendre que le parcours avait changé et ils restaient de gros morceaux à passer. JP est venu nous encourager à la sortie de Morgex et il restait bouche bée. Depuis Champex il ne pouvait pas s’enlever de l’esprit que nous allions trop lentement et que nous n’y arriverions jamais. Il nous soutenait mais son discours était clair : Les mecs vous êtes foutus, laissez tomber quoi …

A la sortie de Morgex, il nous apporte des sandwichs (MERCI !!!) et un peu d’argent au cas où et nous demande si on va vraiment continuer. Ils nous proposent même de nous amener un peu plus loin en voiture. Sans même réfléchir je lui dis « JP, on se voit à Chamonix ».

On est partit survolté de Morgex. On a continué sur notre rythme soutenu sur les derniers cols et en arrivant à Tré la Tête le samedi on avait rattrapé de nombreuses équipes. On était enfin rentré dans le peloton. Comme je le dis souvent ça sentait le sapin ! Une micro-sieste de 2h et on est reparti avant beaucoup d’équipes. Il ne restait plus qu’à dérouler jusque Chamonix.
 

[J-Félix] – Le 1er jour, je me suis dit « on va y arriver, cela ne fait aucun doute ! ».

Le 2ème jour, je me suis dit « on va peut-être y arriver ».

Le 3ème jour, je me suis dit « on va peut-être pas y arriver ».

Le 4ème jour, je me suis dit « il y a une grande chance pour qu’on y arrive pas ».

Le 5ème jour, je me suis dit « c’est mort, c’est sûr c’est mort, mais allons le plus loin possible ».

Le 6ème jour, je me suis dit « comment ? La course n’est pas stoppée ? Oulala … ça va être chaud et pour y arriver, il va falloir gazer ! ». Durant la dernière nuit, nous descendons le col du Bonhomme, pour mettre toutes les chances de notre côté, j’inscris dans la neige avec mon bâton « Nono + Felisk = PTL ! »

L'inscription prémonitoire dans la neige du col du Bonhomme.

Le 7ème jour … « On l’a fait !!!!! ». Avec 4 h d’avance sur l’heure limite. Je n’en reviens toujours pas ! 

Nous ne comptions ni les kilomètres, ni les heures, ni encore les jours (nous n’avions plus du tout la notion du temps) mais nous comptions en cartes ! Le parcours de la PTL tenait sur 26 cartes IGN au format A4 ! Au bout de la 1ère nuit nous n’avions parcouru qu’une carte et demie … Je demandais souvent à Nono, combien de cartes reste-t-il ? Sa réponse n’était pas vraiment rassurante. 


19. Une bonne grosse engueulade ?

[Arnaud] Dur de s’engueuler quand on se connaît et qu’on s’apprécie si bien. En fait les 130h de course ont été surtout l’occasion de raconter le plus de conneries possible, et on ne s’est pas gêné.

Alors qu’il y aurait pu avoir de grosses engueulades sur les passages dangereux ou complexes ou lors des nuits zombi, ce n’est finalement qu’en fin de course qu’il y a eu pseudo-friction. En même temps difficile de se fâcher avec Félix !

Perso et paradoxalement, je pète les plombs en fin de course et craque complètement. Certains abandonnent ou chialent moi je deviens hyper irascible et je gueule contre tout, les descentes, les montées, les cailloux. Avec Félix à bout aussi, c’était trop, lui qui souhaitait une arrivée pleine de communion, j’étais à l’inverse, en train de faire un rejet complet de la course alors qu’il ne restait que 6 km !!

Bref on voit sur la ligne d’arrivée qu’on se fait limite la gueule comme un vieux couple après une dispute du type « je t’aime mais tu m’énerves ». On en a reparlé après et il est vrai qu’en allant au bout de nous-même et au-delà on est à fleur de peau. Perso cette discorde sur la fin m’a vraiment attristé, je me suis senti con mais j’avais craqué, dur de me faire revenir à la réalité. Ce n’est que plus tard en rentrant sur Rabat que j’ai tout lâché, toute cette joie caché sous l’énervement. Je me suis dit putain on l’a fait et j’ai chialé comme un môme.

Sur la ligne d'arrivée, l'émotion à fleur de peau...

[J-Félix] – une engueulade ? Non. On s’est super bien entendus. J’ai appris à être patient et à écouter mes équipiers lorsqu’ils voulaient manger ou faire une pause. Heureusement qu’ils étaient là, car moi, je ne m’arrêterais jamais ! 

A un moment, j’ai pesté intérieurement. Lorsqu’Emeric nous a confié qu’il ne prenait plus aucun plaisir et que sa seule motivation était son envie d’arrêter au prochain refuge, alors j’ai pesté contre moi-même. Je n’avais pas envisagé de faire la course à deux, pour moi, c’était trois jusqu’au bout. J’étais triste d’avoir échoué dans ma mission de garder l’équipe complète. Je m’étais mis cette pression tout seul. Sans trop réfléchir, nous nous sommes réorganisés pour repartir à deux et j’ai pris conscience c’était le bon choix, c’était son choix, je n’avais pas mon mot à dire.

Et aussi sur la toute fin du parcours, je n’ai plus reconnu mon Nono ! Il avait mal dormi (normal, dormi allongé sur un banc en bois, ce n’est pas très confortable !!!) et ses pieds le faisaient souffrir énormément. Il s’est mis à hurler contre tout, s’en était trop, il était au bout du bout. Seulement, il restait encore une dernière nuit puis une demi-journée d’efforts avec la descente caillouteuse vers les Contamines, les montées vers le refuge du Truc et le col du Tricot rendues ultra boueuses car labourées par le passage, sous la pluie, des milliers de coureurs de la TDS. Bref mon frère d’arme n’était plus là, je n’osais plus lui parler de peur de l’irriter d’avantage, je laissais passer l’orage et je comprenais qu’il fallait arriver le plus vite possible. Ce finish n’était pas celui dont je rêvais c’est évident, et alors ? Cela faisait partie intégrante de notre aventure et il fallait accepter l’autre tel qu’il était, sur la durée, pour le meilleur et pour le pire, comme dans un couple :-) ! Au final, nous sommes arrivés à Chamonix, sous un soleil radieux, peu avant midi. On se trainait dans les ruelles animées de la ville. Les terrasses des cafés étaient bondées et nous étions applaudis sur notre passage. On a retrouvé l’ami Jean-Pierre sur la ligne d’arrivée ainsi que tout le staff PTL qui était tellement heureux pour nous. Ils n’avaient pas donné cher de notre réussite pendant toute cette semaine ! Nous avons eu droit à la récompense ultime : un sandwich au fromage, euh … que dis-je : la veste finisher PTL et la cloche bien-sûr … whaouw quelle fierté !

Récompenses ultimes : la cloche et la veste PTL

20. Un câlin ? 

[Arnaud] Pleins ! Un gros câlin au Prez quand il nous a quitté à Champex-Lac. On avait la larme à l’œil. Cela faisait un an qu’on parlait de cette course tous les trois et le voir quitter si tôt l’aventure nous a vraiment attristés et affectés. Cela faisait 2 jours qu’on essayait de le pousser et de le motiver mais en vain. On s’est remis en selle et on se remotivait avec Félix. On a instauré un câlin après chaque refuge ! On avait vraiment besoin d’être soudés et de sentir qu’on pouvait compter l’un sur l’autre pour finir. En tout cas j’ai toujours senti Félix fort et toujours devant, comme d’hab et comme prévu surtout. J’ai essayé moi aussi de montrer ma présence mais physiquement j’ai chuté beaucoup plus rapidement que Mr Missile et ça été dur de suivre le rythme et l’aisance avec laquelle il montait et descendait. Je me suis contenté de fixer ses pieds et suivre autant que faire se peut. A Morgex, c’est moi qui le réveille et qui vais lui chercher le petit dej quand même ;) 


[J-Félix] – Je trouve que cette course nous a beaucoup rapproché tous les trois, avant, pendant et surtout après. Nous avons vécu des moments très forts où les mots confiance, écoute et respect de l’autre prennent une toute autre dimension.

Alors, des câlins ? Oui, nous sommes tombés dans les bras à plusieurs reprises. Surtout aux moments de reprendre la route après une pause dans un refuge. Petits moments de réconforts avant d’affronter la fatigue et le mauvais temps.

L'équipe soudée et motivée au pied de Catogne (Suisse).

21. Quel est ton meilleur souvenir de cette aventure ?

[Arnaud] Là aussi le choix est vaste, on s’est vraiment bien marré et les paysages étaient tous à couper le souffle. Pour ne pas être redondant avec mon passage préféré sur le Col du Bonhomme, je pense que mon meilleur souvenir reste un moment de partage à 3. Pendant la montée du Buet, en début de matinée, après 6h d’efforts, le Prez n’est pas bien, pâle, vidé. On décide de s’arrêter et de prendre le petit déjeuner sur cette pente à 40% au milieu des rochers et devant une falaise abrupte. Félix sort la popote et nous prépare un magnifique petit déjeuner avec un café salvateur qui nous reboostera pour le reste de la journée et dont je garde encore le goût. Ce passage est vraiment révélateur de ce que nous recherchions dans cette aventure, des moments de partage intenses dans un décor de rêve.

1er petit dej, sous le ressaut rocheux de l'arête Ouest du Mont Buet.

[J-Félix] – Mon meilleur souvenir : sans aucun doute le passage de la frontière franco-italienne, au col de le Seigne, avec Nono. Ce passage marque enfin la fin du mauvais temps et surtout le retour au bercail. Nous sommes samedi après-midi, tout est blanc et la vallée de la ville des Glaciers s’étant devant nous. Nous nous gavons de fraises Tagada, nous prenons une photo pour immortaliser ce moment et surtout je me rappelle que nous nous disons modestement : ça y est nous sommes des Dieux ! Pour redescendre, on part tout droit, traçant notre chemin dans la neige immaculée, le cœur léger, demain nous serons finishers …
Passage du col de la Seigne (frontière Italie-France).

22. Le pire souvenir ? 

[Arnaud] Jeudi soir près du Lac Mauvoisin, nous sommes vers le km 140. Nous venons de passer une nuit blanche dans le Col de l’Ane et une journée entière entre les glaciers. Bref ça commence à tirer. Quand la nuit tombe, je perds complètement pied. Je suis perdu, des idées noires m’envahissent, les classiques des coups de mou mais puissance 10 : « qu’est-ce que je fou là » « on va jamais y arriver » « ça sert à rien ces conneries ». Je suis perdu et chiale en silence en suivant de façon automatique les pieds de Félix. Je pense à ma femme, mes enfants, recherche des motivations même minimes. J’essaye de raisonner logiquement et me dit qu’on est qu’au km 140 alors qu’on est partit depuis 3 jours. Je calcule dans tous les sens et me persuade que c’est perdu d’avance…mais alors pourquoi on continue ? Je me persuade que je vais louper mon avion et du coup ma famille me manque encore plus. Bref je passe les détails mais j’ai un très gros bad mood.

D’un coup, surgit de nulle part une équipe de 2 suissesses nous rattrapent et nous dépassent. La réalité me frappe en plein visage. Ces 2 petits gabarits de 50 kg tout mouillés me donnent une leçon de courage. Elles ne se plaignent pas, elles ne craquent pas. Oui elles sont fatiguées, mais elles avancent. Je me remets en selle et essaye de les suivre. Ça marche vite, preuve de grandes randonneuses mais je descends mieux et on les dépasse à nouveau avec Félix. Nous finissons ensemble la montée vers la Cabane Chanrion pendant laquelle je vais m’efforcer de suivre les pieds de Félix. Un « bon » repas et un gros dodo de 3 h et le lendemain je repars quasi neuf. Cette nuit aura quand même laissé de lourdes séquelles mentales et ce stress sur le temps et sur mon avion va s’accroître jusqu’à mon explosion à 6 km de l’arrivée.


[J-Félix] – Mon pire moment, je l’ai bien cherché ! Le cadre : il pleut dans la descente du col des Avouillons et nous dominons le glacier de Corbassières. Nous voyons en contre bas une autre équipe et je propose à Nono « et si nous coupions tout droit là pour rejoindre le sentier ? ». Il y a un bel alpage qui nous permet de raccourcir la chicane ? Nous avançons dans les herbes mais la progression s’avère plus compliquée que prévue : la végétation est gorgée d’eau et recouvre des rochers glissants qui constituent des pièges fatals pour nos chevilles, beurk ! C’est clairement une mauvaise idée, mais bon, c’est trop tard. De retour sur le sentier, mes chaussures sont trempées, je suis obligé d’essorer mes chaussettes et mes semelles. Le jus qui en sort est nauséabond ! Mes mains s’imprègnent de ce putride fumet et malgré les multiples rinçage dans les torrents, rien ne m’en séparera :-(


Le glacier de Corbassières, au pied du Grand Combin (Suisse)

23. Quelques semaines après, ton sentiment ? 

[Arnaud] Le sentiment d’avoir accompli quelque chose de hors normes. On a pu lire tous les messages FB, les textos. On a regardé les vidéos, les photos et on a compris l’ampleur de la chose et l’engouement de nos amis autour de nous. Personnellement je n’en reviens pas ! Je garde ma polaire finisher non-stop tellement je suis fier. Je me repasse les images sans cesse et j’en rêve presque toutes les nuits. Physiquement et mentalement nous sommes allés très loin mais nous revenons changés. Nous avons puisé toutes nos forces et bien au-delà pour aller au bout de cette aventure. Le sentiment de vie qui se dégage après ce périple est intense et doux à la fois. Un sentiment de plénitude. Par contre, soyons honnête, si le Missile arrive déjà à marcher et à courir personnellement je ne sens toujours pas mes gros orteils et toute la voute plantaire est enflammée. Donc pour résumer je suis vidé, cramé, fumé comme un saumon mais fier comme un paon et heureux !

Félix et Nono, heureux finishers PTL 2012 en 133 h.
[J-Félix] – Je n’en reviens toujours pas. Tous ces rebondissements, nos doutes inavoués, cette destination hors d’atteinte ; quelle aventure ! Mais on l’a fait ! Oui, on s’est accroché à ce rêve mi cauchemar. Nous sommes finishers PTL ! Et, en effet, ce fut une expérience unique qui m’a marquée à tout jamais. Il m’arrive encore de me réveiller en pleine nuit, me demandant dans quel refuge je suis en train de dormir ? Il ne se passe pas une semaine, diaporama à l’appui, sans que je ne raconte notre aventure à qui veut bien m’écouter. Et, à chaque fois, un nouveau souvenir ou une nouvelle anecdote rejaillit. J’ai mis plus d’un mois à écluser mon retard de sommeil. J’ai réalisé à quel point mon corps est une machine superbe et géniale, capable de me transporter aussi loin que mes rêves m’emmènent…


Val d'Aoste, vers la fenêtre de Durand (frontière Suisse-Italie).

A Mathilde, notre amie pour toujours.