jeudi 21 octobre 2010

Ultra Trail des Templiers par Jean-Félix CHEVASSU

« Nous partîmes 4, mais point de prompt renfort, nous nous vîmes 2 en arrivant à bon port » 
… ainsi se résume notre croisade contre le temps que je m’en vais vous conter.

L’histoire commence quelques mois auparavant. Déçu de n’avoir pas pu m’inscrire au grand raid de la Réunion pour revivre l’émotion vécue en 2008, frustré également par 5 mois d’arrêt forcé pour cause de blessures, il me fallait un nouveau défi, avec mes copains coureurs de l’AS. Je leur propose de nous inscrire sur une course qui me fait rêver depuis plusieurs années : les Templiers, en Aveyron. Henri Pouget et Benoit Blondel, novices sur ce type de course de plus de 100 km, me suivent finalement dans cette aventure ainsi qu’Emeric Virton, jamais très difficile à convaincre lorsqu’il s’agit de vivre cette passion commune du trail qui nous anime depuis 2006.

Nous voilà parti, ce 21 octobre, pour traverser la France en voiture, afin de rejoindre Millau, théâtre de l’Endurance Trail des Templiers : une course de 111 km avec près de 4600m de dénivelés positifs, dans les gorges du Tarn, de la Jonte et de la Dourbie et sur les plateaux rocailleux, falaises et ravins des Causses. Aux mêmes moments, à 10 000 km de là, se déroule la Diagonale des Fous sur l’île de La Réunion. Pendant toute ma course, je suivrai en direct, via SMS, la progression d’Arnaud Bihannic, seul inscrit de l’AS SFR cette année.
Le départ est prévu à 4 heures du matin. Nous nous réveillons donc à 2h30 du matin pour rejoindre les quelques 700 coureurs agglutinés sous l’arche. La température est proche de 0°C, je frissonne. Je me sens bien, quoique pas très bien réveillé, mais serein et sans pression. J’ai maintenant l’expérience de ce type de course et me suis fixé l’objectif ambitieux de finir en 15h et dans le top 50. Je tanne Benoit de faire la course avec moi, mais il préfère vivre sa grande première fois en ultra-running sur des bases prudentes de 17~18h de course. L’excitation est à son comble lorsque la musique d’Era raisonne dans les rues endormies de Millau. 
Nous nous encourageons une dernière fois et puis « PAN » c’est parti !


Je pars doucement en pensant que Benoit me suit juste derrière. Un rapide coup d’œil en arrière, non, il n’est plus là. Bon je me dis que je le verrai plus tard lors d’un ravitaillement. Le début du parcours longe le Tarn en faux plat montant sur environ 4 km. Soudain j’aperçois Emeric juste devant, il a du partir vite. Nous échangeons quelques mots, il a de bonnes sensations alors il en profite ! Je le passe et l’encourage pour la suite. La nuit est magnifique, le ciel dégagé laisse apparaître des myriades d’étoiles et une pleine lune majestueuse. Je commence à avoir chaud avec ma veste GoreTex et mes manchons Lycra. Mais dès que le sentier descend, je prends de la vitesse et avec le vent, le froid m’envahit. Jusqu’au lever du soleil j’oscillerai incessamment entre trop chaud et frissons, au gré des dénivelés. Ma lampe frontale surpuissante me réchauffe agréablement la tête et m’apporte un confort et un avantage certain sur les autres coureurs.
La première difficulté sérieuse se présente avec la côte de Carbassas : 500m D+ dans une forêt épaisse. Je monte tranquillement en marchant. Je pense à ma femme et mes enfants qui dorment encore, bien au chaud, il est 5h du matin…
Je suis accompagné de 3 concurrents et nous courons en nous relayant pendant une dizaine de km à flan de montagne. Puis je m’envole, ‘’plein phare’’ dans la vertigineuse descente vers Peyreleau.  Soudain, je manque de me prendre une branche dans l’œil et m’en tire avec une belle balafre à la tempe, ouf j’ai eu de la chance. Un moment d’inattention peut mettre un terme à l’aventure.

1er ravitaillement – Peyreleau – km 23, 2h26 de course (83ème).
Je retrouve avec surprise le petit pont de pierre qui traverse le Tarn à Peyreleau. Ce pont, nous l’avions déjà traversé 3 ans plus tôt, lors de notre participation aux 100km de Millau.  Je profite d’un ravitaillement express pour remplir mon CamelBack et repartir aussitôt à l’assaut du versant opposé des gorges du Tarn. Après 3 heures de course, les premiers signes de fatigue se manifestent. Le vent et le froid commencent à me donner des douleurs abdominales. Serais-je parti trop vite ? Nous devons encore monter pendant 13 km avant le prochain ravitaillement à Saint Rome de Dolan. Les douleurs deviennent plus vives et insupportables, je dois m’arrêter d’urgence. Je laisse filer devant quelques dizaines de coureurs. Tant pis, je les rattraperai plus tard, pour l’instant, je dois reprendre possession de tous mes moyens. Je repars à l’attaque bien concentré. Je m’économise dans les montées, je relance dès que le sentier me permet de courir.
Le jour se lève enfin, je prends une photo de la gorge du Tarn qui se révèle, brumeuse, à l’approche du second ravitaillement.


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2ème ravitaillement – Saint Rome de Dolan – km 38, 4h25 de course (63ème)  

De nouveau, je ne traine pas, juste le temps de remplir à ras bord ma réserve d’eau et je repars, seul, pour une descente très technique vers le fond de la vallée. Je prends énormément de plaisir sur cette portion de fort dénivelé négatif. Arrivé au village Les Vignes, je retraverse le Tarn pour remonter en face, sur le versant encore dans l’ombre. A ce moment là j’essaye d’appeler les copains. Je tombe sur Emeric qui m’annonce que son genou n’a pas tenu dans la première descente vers Peyreleau, il n’a pas pu repartir. Aie, il doit être terriblement déçu. Je suis triste pour lui et zut, c’est moi qui ai les clés de la voiture et du gîte dans mon sac à dos, je n’avais pas prévu l’éventualité d’un abandon sur blessure dans l’équipe…
Ensuite Benoit m’appelle, il est accompagné d’Henri et ils arrivent au 2ème ravito. Ils ne sont qu’à 40 minutes derrière moi. Je suis rassuré, tout va bien pour eux et ils font équipe, c’est super, ils vont se motiver l’un l’autre. La fin de l’ascension est très raide, avec des lacets serrés. Je rattrape un concurrent arrêté qui me parait bien mal en point. Il m’explique qu’il ne peut plus avancer et qu’il n’arrive plus à s’alimenter, incapable d’avaler du sucré. Je pense avoir la solution, et je sors ma botte secrète : un savant mélange noix de cajou / saucisson. Idéal pour les moments de moins bien. L’effet est immédiat et nous repartons vers le plateau qui surplombe encore et toujours le Tarn. Une inscription km 50 est marquée sur la piste, je suis agréablement surpris et me dis que dans 5 km, c’est la moitié !
Je poursuis ma course en solitaire au milieu d’une vaste étendue inhabitée et j’attends le prochain ravitaillement prévu au km 64. Les paysages des gorges de la Jonte ont beau être sublimes, mais où est donc passé ce ravito ???
Ma femme m’appelle au téléphone pour m’encourager, ça me fait un bien fou. Je suis dans ma bulle, concentré, je n’ai plus aucune notion du temps, de l’heure ni du monde extérieur, c’est troublant comme sensation. Je suis complètement dans la course, je m’hydrate le plus souvent possible pour éviter les crampes, je profite de la beauté des paysages et dès que je peux, je prends des photos que je poste en live sur Internet pour partager ces moments avec mes proches qui suivent mon aventure (merci à tous).

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Je redescends tout au fond de la vallée pour retrouver une trace de civilisation le village nommé Les Douzes. Un bénévole m’y annonce que nous sommes bien au km 64 mais qu’il y a eu une erreur dans le roadbook et que le ravitaillement se trouve à Veyreau, c'est-à-dire au sommet du versant opposé, 6 km plus loin ! Cela fait déjà 4 heures que j’ai quitté Saint Rome, je commence à être à sec avec mes 2 litres d’autonomie ! Heureusement il y a un point d’eau peu après. Je poursuis ma course en solitaire, je sens que je suis dans un grand jour, cela faisait presque un an que ce n’était plus arrivé (depuis la SaintéLyon 2009, avec un Ben très en forme !), après 8 heures de course, le soleil brille haut dans le ciel et, malgré la fatigue musculaire, je ne lâche rien, je cours le plus souvent possible pour maintenir une vitesse moyenne autour de 10 km/h.

3ème ravitaillement – Veyreau – km 70, 9h10 de course (40ème)
Cette fois je m’y arrête 5 minutes pour souffler, refaire le plein de boisson énergétique et manger ce qui me fait envie sur le moment : morceaux de cantal sur du pain d’épices, miam !
Il reste un marathon à courir, il est 13h10, je suis dans les temps et me mets à croire à une arrivée avant la tombée de la nuit.
Ma remise en route est douloureuse, mes jambes sont lourdes et il me faut quelques longues minutes pour retrouver une foulée digne de ce nom. Une étroite piste chemine longuement sur le haut plateau qui me mène à Saint André de Vézines, Je rattrape très lentement la 2nde féminine qui avance à la même vitesse que moi sur le plat et dans les montées. Pour enfin creuser l’écart avec elle, je dois attendre la périlleuse descente vers les nouvelles gorges qui s’offrent à moi, celles de la Dourbie que je longe en arrivant au prochain village qui accueille le 4ème ravitaillement.
Ce ‘’duel’’ m’a éprouvé physiquement, je commence à manquer de lucidité si bien que je trébuche sur une racine mais j’évite de justesse une lourde chute dans les rochers en me rattrapant miraculeusement à un arbuste chétif. Je sens que la course bascule pour moi, il me reste 25 km à faire et les douleurs gastriques reviennent subitement, certainement dues au régime ultra énergétique que j’impose à mon organisme depuis plus de 11h d’efforts.




4ème ravitaillement – La Roque Sainte Marguerite – km 86, 11h15 de course (33ème)
A peine un bonjour aux bénévoles et je repars aussitôt alors que la 2nde féminine arrive à son tour au ravito … fichtre elle est coriace, elle est revenue sur moi … Une longue montée m’attend,  Je ne me souviens plus du tout du profil de cette fin de course, je me raccroche à la description imagée de Benoit : la fin c’est un W me répétait-il avant la course ! En toute logique, il doit rester deux montées et deux descentes, je dois tenir … Que c’est long …
Il fait très chaud sous le soleil, je lutte mentalement pour ne pas m’arrêter dans la montée, je serre les dents, j’ai le souffle court … je poste un message et une photo sur facebook appelant aux encouragements, j’en ai bien besoin et ils ne tardent pas à faire biper mon smartphone.
Enfin j’aperçois le sommet, et deux bénévoles m’orientent vers une descente hors piste à travers une végétation dense et aride qui griffe bras et jambes. Je récupère de bonnes sensations dans cette descente et je me demande combien de temps mes quadriceps vont tenir. Je fonds littéralement sur un petit groupe de 5 coureurs et je me colle derrière car de nouveau ça remonte et devant moi ne se dressent que des falaises. J’imagine que nous devons franchir cette barre rocheuse, mais où et quand ? Sans cesse, nous alternons montées à pic puis dégringolades, je suis complètement cuit. Je m’accroche toujours derrière le groupe qui me distance dans les montées. C'est tellement raide que je suis obligé de m’aider de mes mains. Je recolle au groupe dans les descentes. Je n’ose même pas imaginer le passage des coureurs ici de nuit, car l’après midi est bien avancée. Enfin nous passons le col, une équipe de pompiers nous annonce que le ravito n’est plus loin et que c’est tout plat … 1 heure après nous y sommes toujours, ce n’est vraiment plus marrant, j’en ai assez, je débranche le cerveau et avance machinalement, tel un zombie. Un concurrent revient de l’arrière à toute vitesse, si j’osais … allez je tente de le suivre, je m’accroche, poussé par je ne sais quelle réserve d’énergie insoupçonnée. Nous distançons rapidement le petit groupe qui lâche petit à petit ce rythme infernal. Je me demande combien de temps il va tenir, il se retourne, on discute et enfin, il ralentit dans les montées. Nous arrivons enfin à la ferme du Cade.

5ème ravitaillement - Ferme du Cade – km 101
Je souffle 5 minutes et revêtis ma veste car le soleil est caché par les montagnes et la température a baissé brutalement. Mon acolyte sort sa frontale et repart aussitôt. Je le laisse filer, il est plus frais que moi. Je sais maintenant qu’il ne reste que 10 km en descente et que j’arriverai avant la nuit noire. Je ne comprends pas pourquoi les autres coureurs sortent leur frontale. Je reprends la route lorsque mon téléphone sonne, c’est Emeric, il suit la course sur Internet et m’annonce qu’au dernier pointage je suis 34ème, je n’en reviens pas, jusqu’ici je n’avais pas la moindre idée de mon classement, mon mental est reboosté. Je suis bien décidé à ne plus perdre une place, car en descente je sais me défendre tant que les cuisses tiennent ! Emeric me donne également des nouvelles réconfortantes de mes potes Benoit et Henri qui sont toujours ensemble un peu derrière.  Je me dis que pour eux aussi c’est interminable et éprouvant, mais je sais qu’ils ne lâcheront rien car ils veulent obtenir les 3 points UTMB et pour cela ils doivent aller au bout.
J’attaque seul la descente tout schuss dans les pierriers en m’accrochant comme je peux aux filins métalliques dont les frottements me brulent les mains. Un panneau annonce l’arrivée à 4 km, ça y est j’y suis presque. Mais, pourquoi ça remonte ? Je ne comprends plus,  je reprends mon souffle, suis-je sur le bon parcours ? Pas le temps de gamberger très longtemps car j’arrive face à la falaise et devant l’entrée de la grotte du hibou. J’y entre mais je dois en ressortir car il y fait nuit noire. Du coup, maintenant je comprends le coup de la frontale …
Je suis toujours seul, personne en ligne de mire devant et personne sur mes talons. J’aperçois enfin Millau et son magnifique viaduc.  Je ne pense plus qu’à franchir l’arrivée car je n’en peux vraiment plus. Allez un dernier effort pour rejoindre le centre ville et voilà je passe la ligne, alors que le speaker m’annonce que je termine 25ème  au classement hommes. Emeric est là, il partage ma joie et immortalise mon chrono. Je suis épuisé et fier d’être allé au bout de cette croisade de plus de 15h d’efforts.




L’arrivée à Millau – km 111 – 15h15 de course (classement scratch 27ème)
 Emeric m’accompagne pour chercher les trophées finisher : une belle médaille frappée d’un chevalier et un T Shirt manches longues pour les entrainements d’hiver. Mais la meilleure récompense arrive juste après : la table de massage. Je m’y endors profondément alors que le masseur soulage les muscles tendus et douloureux de mes jambes.
Un peu plus tard Benoit arrive seul. Il est aux anges, il a réussi brillamment son 1er ultra (94ème en 17h30). Je suis heureux pour lui. Nous n’attendons plus qu’Henri qui n’a pas pu suivre Benoit sur la fin de course. Il nous appelle peu après et nous annonce qu’une blessure à la cuisse l’a malheureusement contraint à l’abandon, à 10km seulement de l’arrivée. C’est rageant pour lui mais sa performance reste néanmoins extraordinaire, lui qui n’avait jamais couru une telle distance auparavant. Je leur tire mon chapeau, bravo les gars et bienvenue parmi les coureurs d’ultra !



Ultra Trail des Templiers par Benoit BLONDEL

Juin 2010, lors d’un entraînement parmi tant d’autres, on discute du planning des courses de la rentrée à venir. Finalement entre une déprogrammation du Grand Raid de la Réunion et un Paris-Versailles confirmé, le choix se porte sur une épreuve mythique : Les Templiers.

Cette épreuve est une telle référence que les inscriptions sont closes, reste seulement des places sur la version Ultra, quasi même parcours, ils ont « juste » ajouté un marathon à une épreuve dont la réputation n’est plus à faire.

21 Octobre, les affaires sont bouclées, départ de Paris à 10h30, direction Millau, on quitte Paris et ses grèves, à nous la belle aventure !
Félix, Henri et moi sommes motivés pour croquer cet ultra à pleine dents, 111 km dans les Causses : la nature, les pierres, les paysages, loin de la civilisation.
Nous ferons un léger détour par Montpellier le soir pour chercher le 4ème larron de cette histoire, nous voilà réunis, 4, comme les 3 mousquetaires…

Les choses sérieuses commencent à notre retour de Montpellier, dîner au gite de Millau, repas italien cela va de soi, les pâtes la veille d’une course, c’est incontournable. Puis dans la chambre, chacun vérifie son matériel, avant de partir à l’abordage d’un ultra, il vaut mieux ne rien avoir oublié. La check list habituelle est passée en revue : vêtements chauds, gants, gels, boisson d’effort, crème, sparadrap, etc… sans oublier le matériel obligatoire imposé par l’organisation en cas d’accident. Hé oui, envoyer 700 runners dans la nature sur des sentiers (quand il y en a), à flanc de falaise, il faut un minimum pour se faire voir ou entendre en cas de pépin.
Une fois ces formalités effectuées, il s’agit de prendre des forces et une bonne nuit de repos ne sera pas de trop, donc coucher vers 23h…

…pour se réveiller à 2h30 du mat’.

22 Octobre, le départ étant à 4h du matin, il nous faut un peu de temps pour se préparer, le petit déj’, rejoindre le départ. Bref nous voilà enfin sur la ligne 30 min avant, c’est déjà l’effervescence dans le parckage et autour. Nous restons ensemble, c’est important de garder ses repères et c’est réconfortant d’avoir ses copains juste à côté. La pression monte petit à petit, pour ma part c’est mon 1er ultra et à cette heure-là, je n’en mène pas large à l’idée de passer entre 15h et 20h dans les Causses. On a beau se sentir prêt sur le plan physique, à cet instant, c’est la tête qui tangue un peu, plein de questions arrivent, le doute m’envahit. Pudiquement, je ne dis rien à mes potes, de peur de les contaminer, mais aussi, vu leur palmarès, je n’ai pas envie de les décevoir.

4h du matin, top départ…

Sous les fumigènes et une musique d’ERA, ce départ est magique, je n’ai plus froid, le 1er km est dans Millau, il y a plein de monde pour nous encourager, c’est surréaliste à cette heure. Je mesure toute la dimension mythique de cette épreuve, on ne m’avait pas menti, ça y est j’en suis…

La course est découpée en 5 tronçons, avec 5 ravitos qui font office de check point, passages obligés pour refaire le plein de liquides et de solides, et qui servent accessoirement de classement intermédiaire.
Il faut savoir aussi qu’il y a des barrières horaires à respecter, on ne peut pas non plus se promener, c’est une vraie course !
Ils ont eu la bonne idée de mettre en ligne les classements intermédiaires, ça permet à la famille et à mes collègues de boulot de pouvoir me suivre à distance. Quand vous êtes dans la course, ça permet de s’accrocher dans les temps faibles et de ne rien lâcher.

Km 0 -> 23 : 1ère partie donc, rétrospectivement, ce sera la plus dure pour moi. Mal réveillé, j’avais froid, ma lampe éclairait mal, bref comme on dit couramment, j’étais en galère. Toutefois, j’ai le réflexe de temporiser et de ne pas suivre le tempo, car c’est parti vite, c’est de l’inconscience sur une épreuve aussi longue.
Intérieurement, je me rassure en me disant que j’ai fait le bon choix et que les prochaines heures me donneront raison.
Il me tarde le ravito du 23ème km, au bout de 3h j’y arrive, et je retrouve deux de mes potes, je suis soulagé. Félix l’avion est déjà reparti. Le jour va bientôt se lever, pour moi, non pas la vie, mais la course va commencer.

Km 23 -> 37 : Et c’est là qu’arrive le premier drame… le genou d’Emeric lâche, la cata pour nous ! Emeric ne peut pas redémarrer du 1er ravito, mince, notre Président de l’AS Running, le mec qui nous a montré la voie (avec son « assistante » Félix), qui a un palmarès long comme le bras, la mort dans l’âme, il ne se sent pas capable d’avaler les 90 km restants avec une telle douleur.
Henri et moi sommes un peu paumés à cet instant, on n’a pas envie de le laisser là, mais il faut partir aussi car le chrono tourne et… c’est Emeric qui nous remet sur les rails. La sagesse l’a emporté pour lui, Henri et moi repartons dans le doute.
Ce sport individuel finalement est une grande aventure collective, Henri et moi cheminons ensemble.
La 1ère grosse difficulté arrive, on se dit qu’on va l’avaler ensemble, même si à la base, nos niveaux sont différents, un des avantages du trail est que pour tenir il faut baisser sa vitesse, ça nivelle ainsi les niveaux.
En même temps que nous montons et arrivons sur les premières crêtes, le jour pointe son nez, la brume disparaît et les paysages se dessinent dans les premières lueurs du soleil, la magie continue…


Km 37 -> 70 : Le tronçon le plus long, avec en plus une rallonge de 6 km ! Quand les cuisses durcissent et que le souffle se fait court, vous appréciez moyennement ce type de plaisanterie.
Un rapide coup de téléphone à Félix qui est devant nous pour l’informer de la mésaventure d’Emeric, nous repartons avec Henri.
Hé oui, Henri et moi faisons course commune, la stratégie est simple, quand ça monte, on marche et sur le plat / dans les descentes, on relance au maximum sans non plus prendre trop de vitesse, il faut gérer l’allure et les réserves énergétiques.
Nous savourons les magnifiques paysages qui nous entourent, et rattrapons allègrement des coureurs (ceux qui sont partis vite ce matin vous vous rappelez ?). Finalement nous enchaînons les km, chacun prend son relais et sereinement, les heures passent, la tête et le physique tiennent.


Km 70 -> 86 : nos chemins se séparent avec Henri, on s’est retrouvé au ravito du 70, mais Henri est diminué par une douleur à la cuisse. Il me dit de continuer, mais comme plus tôt dans la journée, à nouveau le doute m’envahit, il reste un marathon à faire et mon copain de route reste à quai, c’est là qu’arrive le 2ème drame…
Quelle ingratitude du destin, Henri ne mérite pas cela. Pendant 50 km, il a été terrible, assurant ses relais, appliquant à la lettre la stratégie fixée, il m’a épaté. On a remonté 150 coureurs ~, ce qui est énorme sur une telle course, on a bien géré, c’est parfait. Après une première alerte, à son tour sa cuisse lâche, il continuera encore un peu pour s’arrêter vers le 100ème km, à 10 bornes de la fin après tant d’effort, c’est inhumain !
Merci Henri pour ton soutien sur ces 50 km, comme Emeric, tu m’as mis sur les rails pour atteindre mon graal.


La course reprend, toujours dans un décor de rêve, il arrive de discuter avec d‘autres coureurs (oui, oui, en courant), c’est sympa. La notion de perf disparaît, le but commun est de finir, si possible avant la nuit, mais nous savons déjà qu’à ce stade, ce soir, il faudra remettre sa frontale.

Km 86 -> 101 : le tronçon le plus dur, des montées de folie, il n’y a plus de sentiers, c’est de la monotrace. En gros, vous passez entre les buissons, les pierres, les arbustes, pas de GR habituel, ce n’est pas la jungle, mais pas très praticable non plus. Et pour finir (ce tronçon, hein), un mur ! oui un mur !
Un mur, en trail, c’est une montée à + de 20% où vous êtes quasi obligé de monter avec les mains, vous tenir aux branches, racines, touffes, bref tout ce qui peut aider à grimper les hectomètres qui vous permettent de basculer de l’autre côté de la montagne. Techniquement c’est du lourd, le moral tient le coup, les jambes répondent bien à l’effort, finalement ça passe sans encombre, la soirée arrive, comme le dernier ravito… j’en vois le bout… je me dis que le Top 100 n’est pas loin.


Km 101 -> Finish : dernière partie de nuit, pas ma tasse de thé de courir la nuit, mais je n’ai pas le choix, entre une descente quasi en rappel dans un pierrier monstrueux à l’aide d’une corde et la traversée d’une grotte, c’est épique !
Pour rester en plus sous pression, je suis talonné par un coureur, qui plus est sacré descendeur !
Après avoir remonté tant de places, mon orgueil en prend un coup, et je m’accroche (et prends des risques aussi) pour ne pas me faire doubler.


Heureusement les deux derniers kilomètres sont sur bitume, rapidement je me mettrai à l’abri d’un éventuel retour, mais j’ai du ne rien lâcher jusqu’à la fin.

Aaaaah la fin, retour au point de départ, plein de monde, une tribune remplie pour accueillir tous ces finishers.
Ça fait bien longtemps que le 1er est arrivé, ça fait aussi un bout de temps que mon copain Félix est là.
Je prends le temps de savourer les derniers mètres, après 17h36 d’effort, je suis content d’arriver, je suis ultra runner, comme les autres ! Le speaker a annoncé mon arrivée, je fais bonne figure de faire un sourire en passant la ligne.
J’ai atteint mon graal, les jambes lourdes mais le cœur léger, je me surprends d’avoir couru jusqu’à la fin, j’ai pris du plaisir, maintenant, je veux juste rejoindre mes copains et savourer ensemble.

Ce sport individuel atteint une vraie dimension collective, où on vit ensemble, on ressent les mêmes émotions même si physiquement on n’est pas forcément ensemble.
C’est une alchimie délicate à expliquer, mais on ne se sent jamais aussi fort que lorsque l’on est dans la difficulté, et on forme une vraie équipe ! ça dépasse le chrono, les km, on a ressenti les mêmes émotions, on a construit une histoire à 4, sans eux, je ne finis jamais.

C’est pourquoi je voudrais les (Félix et Emeric) remercier pour leurs précieux conseils, leurs encouragements qui m’ont accompagné tout au long de cette journée.
Henri, encore bravo et chapeau pour cette « balade » ensemble, quelle performance, tu mérites tellement d’être finisher, c’est dommage mais moralement tu as été à la hauteur et très digne, impressionnant !

Bizarrement, on pourrait croire, que l’on est gavé de km, mais il me tarde de rechausser les running, d’aller courir et de nouveau partager des sensations, des émotions avec les copains. Un p’tit coup de blues m’envahit, c’était chouette ce truc !
A titre perso je suis ultra runner, j’ai l’impression d’entrer dans une caste un peu spéciale et de rejoindre modestement le monde de mes copains.

dimanche 17 octobre 2010

Moi la course à pied ... par Sébastien TRUBLIN

Récit du marathon Seine et Eure

- "Moi la course à pied...je fais 2 km et j'ai l'impression de mourir"
- "ben moi la course à pied...c'est seulement quand il fait beau...et encore s'il ne fait pas froid. Faut pas déconner non plus!"
- "boh, La course à pied c'est un truc pour les neuneus, y'a rien de plus idiot que de courir, en plus ça fait transpirer et tu sens mauvais après."
- "Ouaich, la course à pied ça peut quand même être sympa en été quand y'a des filles en short dans les parcs..."
- "enfin bon, soyons sérieux, la course à pied c'est quand même vachement plus sympa en bagnole..."

Ben voyons, qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre...

Mon pote Jean-François et moi on était accoudés au comptoir du bar des sports, et on s'est dit "Si on allait faire un petit marathon en moins de 3h15 pour voir ?"

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Ben oui pour commencer on a voulu faire un petit marathon, on s'est pas senti de se lancer dans un grand tout de suite.
Alors banco on a vendu la caravane, on s'est acheté un short, une paire de nike et on est parti.
On est parti et on s'est retrouvé à Amfreville sur Iton, un bled improbable de notre si belle et verte Normandie qui, pour ce coup là n'était pas humide mais bien ensoleillée.
Faut dire qu'on a eu du bol, il fait beau 2 jours par an là-bas et c'était justement ce week-end là.
Le week-end du marathon Seine et Eure, le dimanche matin où la population locale est multipliée par au moins mille entre 8h et 9h, mais où une fois le départ donné y'a plus personne...
Alors donc, ce dimanche là il faisait beau, mais faut quand même pas déconner, le 17 octobre ça meulait grave genre 3°, et 3° en minishort et en marcel on dira ce qu'on voudra, ça meule.

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Bon bref nous y voilà...9h du mat' : la campagne endormie se réveille, un léger brouillard flotte sur les vertes prairies, BANG! le coup de feu résonne...(et là faut s'imaginer le ralenti avec la musique de royal canin) pour voir les coureurs s'élancer. Tous endiablés, chacun à la poursuite de son objectif.
Le mien en l'occurrence c'était de finir en 3h max car il fallait que je sois rentré pour midi, y'avait belle maman qui venait manger à la maison.
Nous voilà donc scotchés au meneur d'allure 3h. Le meneur d'allure c'est le gars qui ressemble à pas grand chose mais qui court vite et qui tient un ballon rouge à la main marqué 3h dessus...t'as vraiment l'air fin de courir avec un ballon rouge...
Bon je vous passe le marronnier habituel du genre "c'était génial, super ambiance, un marathon à taille humaine" pour passer au 30ème km ; On était bien mon pote JF et moi, chauds, même pas fatigués et là ... c'est le drame, au 31ème tout s'écroule, là où toute personne normalement constituée dirait : "oh punaise j'en peux plus, je rentre au chaud à la maison voir maman et descendre une Kro pour la récup"... nous on n'a pas lâché, on a serré les dents, ben ouais faut pas oublier qu'on est des coureurs et les coureurs ça aime avoir mal !
Alors on s'accroche, et un peu plus loin il se passe un truc. Mais un truc de malade. Un truc qui ne peut se produire que quand le corps, à bout de résistance d'avoir lutté foulée après foulée s'efface, et s'abandonne complètement à l'esprit : on trouve son moi le plus profond.
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Hé oui l'ami, le coureur est aussi poète ... faut dire qu'avec les heures passées à s'entrainer il a le temps de réfléchir à l'article qu'il va écrire pour le blog de l'AS ...
Et donc qu'est-ce qu'il dit son moi le plus profond ? Hein ? Qu’est-ce qu’il dit ?  Ben il dit : bouge toi les miches mon pote, tu vas te remuer fissa pour finir parce qu'on n'en a pas ch ... des ronds de chapeau jusque là pour se la jouer petite maison dans la prairie et aller pleurer chez Laura Ingalls.
Ah sacré moi le plus profond ! Tu as toujours raison. Alors le coureur s'exécute et ne pense plus à rien (facile me direz-vous, c'est un coureur ...) mais ce faisant il file droit vers l'arrivée, vers le but, vers son record perso, vers ...

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... vers un truc que seuls les finishers connaissent...
Alors toi aussi, si tu veux savoir ce que c'est ce truc que seuls les finishers connaissent, prends ta carte de l'AS TEAM Running, viens … L’AS t’offrira en plus la douche, le vestiaire, et un super T-Shirt avec ton nom dessus.