jeudi 21 octobre 2010

Ultra Trail des Templiers par Benoit BLONDEL

Juin 2010, lors d’un entraînement parmi tant d’autres, on discute du planning des courses de la rentrée à venir. Finalement entre une déprogrammation du Grand Raid de la Réunion et un Paris-Versailles confirmé, le choix se porte sur une épreuve mythique : Les Templiers.

Cette épreuve est une telle référence que les inscriptions sont closes, reste seulement des places sur la version Ultra, quasi même parcours, ils ont « juste » ajouté un marathon à une épreuve dont la réputation n’est plus à faire.

21 Octobre, les affaires sont bouclées, départ de Paris à 10h30, direction Millau, on quitte Paris et ses grèves, à nous la belle aventure !
Félix, Henri et moi sommes motivés pour croquer cet ultra à pleine dents, 111 km dans les Causses : la nature, les pierres, les paysages, loin de la civilisation.
Nous ferons un léger détour par Montpellier le soir pour chercher le 4ème larron de cette histoire, nous voilà réunis, 4, comme les 3 mousquetaires…

Les choses sérieuses commencent à notre retour de Montpellier, dîner au gite de Millau, repas italien cela va de soi, les pâtes la veille d’une course, c’est incontournable. Puis dans la chambre, chacun vérifie son matériel, avant de partir à l’abordage d’un ultra, il vaut mieux ne rien avoir oublié. La check list habituelle est passée en revue : vêtements chauds, gants, gels, boisson d’effort, crème, sparadrap, etc… sans oublier le matériel obligatoire imposé par l’organisation en cas d’accident. Hé oui, envoyer 700 runners dans la nature sur des sentiers (quand il y en a), à flanc de falaise, il faut un minimum pour se faire voir ou entendre en cas de pépin.
Une fois ces formalités effectuées, il s’agit de prendre des forces et une bonne nuit de repos ne sera pas de trop, donc coucher vers 23h…

…pour se réveiller à 2h30 du mat’.

22 Octobre, le départ étant à 4h du matin, il nous faut un peu de temps pour se préparer, le petit déj’, rejoindre le départ. Bref nous voilà enfin sur la ligne 30 min avant, c’est déjà l’effervescence dans le parckage et autour. Nous restons ensemble, c’est important de garder ses repères et c’est réconfortant d’avoir ses copains juste à côté. La pression monte petit à petit, pour ma part c’est mon 1er ultra et à cette heure-là, je n’en mène pas large à l’idée de passer entre 15h et 20h dans les Causses. On a beau se sentir prêt sur le plan physique, à cet instant, c’est la tête qui tangue un peu, plein de questions arrivent, le doute m’envahit. Pudiquement, je ne dis rien à mes potes, de peur de les contaminer, mais aussi, vu leur palmarès, je n’ai pas envie de les décevoir.

4h du matin, top départ…

Sous les fumigènes et une musique d’ERA, ce départ est magique, je n’ai plus froid, le 1er km est dans Millau, il y a plein de monde pour nous encourager, c’est surréaliste à cette heure. Je mesure toute la dimension mythique de cette épreuve, on ne m’avait pas menti, ça y est j’en suis…

La course est découpée en 5 tronçons, avec 5 ravitos qui font office de check point, passages obligés pour refaire le plein de liquides et de solides, et qui servent accessoirement de classement intermédiaire.
Il faut savoir aussi qu’il y a des barrières horaires à respecter, on ne peut pas non plus se promener, c’est une vraie course !
Ils ont eu la bonne idée de mettre en ligne les classements intermédiaires, ça permet à la famille et à mes collègues de boulot de pouvoir me suivre à distance. Quand vous êtes dans la course, ça permet de s’accrocher dans les temps faibles et de ne rien lâcher.

Km 0 -> 23 : 1ère partie donc, rétrospectivement, ce sera la plus dure pour moi. Mal réveillé, j’avais froid, ma lampe éclairait mal, bref comme on dit couramment, j’étais en galère. Toutefois, j’ai le réflexe de temporiser et de ne pas suivre le tempo, car c’est parti vite, c’est de l’inconscience sur une épreuve aussi longue.
Intérieurement, je me rassure en me disant que j’ai fait le bon choix et que les prochaines heures me donneront raison.
Il me tarde le ravito du 23ème km, au bout de 3h j’y arrive, et je retrouve deux de mes potes, je suis soulagé. Félix l’avion est déjà reparti. Le jour va bientôt se lever, pour moi, non pas la vie, mais la course va commencer.

Km 23 -> 37 : Et c’est là qu’arrive le premier drame… le genou d’Emeric lâche, la cata pour nous ! Emeric ne peut pas redémarrer du 1er ravito, mince, notre Président de l’AS Running, le mec qui nous a montré la voie (avec son « assistante » Félix), qui a un palmarès long comme le bras, la mort dans l’âme, il ne se sent pas capable d’avaler les 90 km restants avec une telle douleur.
Henri et moi sommes un peu paumés à cet instant, on n’a pas envie de le laisser là, mais il faut partir aussi car le chrono tourne et… c’est Emeric qui nous remet sur les rails. La sagesse l’a emporté pour lui, Henri et moi repartons dans le doute.
Ce sport individuel finalement est une grande aventure collective, Henri et moi cheminons ensemble.
La 1ère grosse difficulté arrive, on se dit qu’on va l’avaler ensemble, même si à la base, nos niveaux sont différents, un des avantages du trail est que pour tenir il faut baisser sa vitesse, ça nivelle ainsi les niveaux.
En même temps que nous montons et arrivons sur les premières crêtes, le jour pointe son nez, la brume disparaît et les paysages se dessinent dans les premières lueurs du soleil, la magie continue…


Km 37 -> 70 : Le tronçon le plus long, avec en plus une rallonge de 6 km ! Quand les cuisses durcissent et que le souffle se fait court, vous appréciez moyennement ce type de plaisanterie.
Un rapide coup de téléphone à Félix qui est devant nous pour l’informer de la mésaventure d’Emeric, nous repartons avec Henri.
Hé oui, Henri et moi faisons course commune, la stratégie est simple, quand ça monte, on marche et sur le plat / dans les descentes, on relance au maximum sans non plus prendre trop de vitesse, il faut gérer l’allure et les réserves énergétiques.
Nous savourons les magnifiques paysages qui nous entourent, et rattrapons allègrement des coureurs (ceux qui sont partis vite ce matin vous vous rappelez ?). Finalement nous enchaînons les km, chacun prend son relais et sereinement, les heures passent, la tête et le physique tiennent.


Km 70 -> 86 : nos chemins se séparent avec Henri, on s’est retrouvé au ravito du 70, mais Henri est diminué par une douleur à la cuisse. Il me dit de continuer, mais comme plus tôt dans la journée, à nouveau le doute m’envahit, il reste un marathon à faire et mon copain de route reste à quai, c’est là qu’arrive le 2ème drame…
Quelle ingratitude du destin, Henri ne mérite pas cela. Pendant 50 km, il a été terrible, assurant ses relais, appliquant à la lettre la stratégie fixée, il m’a épaté. On a remonté 150 coureurs ~, ce qui est énorme sur une telle course, on a bien géré, c’est parfait. Après une première alerte, à son tour sa cuisse lâche, il continuera encore un peu pour s’arrêter vers le 100ème km, à 10 bornes de la fin après tant d’effort, c’est inhumain !
Merci Henri pour ton soutien sur ces 50 km, comme Emeric, tu m’as mis sur les rails pour atteindre mon graal.


La course reprend, toujours dans un décor de rêve, il arrive de discuter avec d‘autres coureurs (oui, oui, en courant), c’est sympa. La notion de perf disparaît, le but commun est de finir, si possible avant la nuit, mais nous savons déjà qu’à ce stade, ce soir, il faudra remettre sa frontale.

Km 86 -> 101 : le tronçon le plus dur, des montées de folie, il n’y a plus de sentiers, c’est de la monotrace. En gros, vous passez entre les buissons, les pierres, les arbustes, pas de GR habituel, ce n’est pas la jungle, mais pas très praticable non plus. Et pour finir (ce tronçon, hein), un mur ! oui un mur !
Un mur, en trail, c’est une montée à + de 20% où vous êtes quasi obligé de monter avec les mains, vous tenir aux branches, racines, touffes, bref tout ce qui peut aider à grimper les hectomètres qui vous permettent de basculer de l’autre côté de la montagne. Techniquement c’est du lourd, le moral tient le coup, les jambes répondent bien à l’effort, finalement ça passe sans encombre, la soirée arrive, comme le dernier ravito… j’en vois le bout… je me dis que le Top 100 n’est pas loin.


Km 101 -> Finish : dernière partie de nuit, pas ma tasse de thé de courir la nuit, mais je n’ai pas le choix, entre une descente quasi en rappel dans un pierrier monstrueux à l’aide d’une corde et la traversée d’une grotte, c’est épique !
Pour rester en plus sous pression, je suis talonné par un coureur, qui plus est sacré descendeur !
Après avoir remonté tant de places, mon orgueil en prend un coup, et je m’accroche (et prends des risques aussi) pour ne pas me faire doubler.


Heureusement les deux derniers kilomètres sont sur bitume, rapidement je me mettrai à l’abri d’un éventuel retour, mais j’ai du ne rien lâcher jusqu’à la fin.

Aaaaah la fin, retour au point de départ, plein de monde, une tribune remplie pour accueillir tous ces finishers.
Ça fait bien longtemps que le 1er est arrivé, ça fait aussi un bout de temps que mon copain Félix est là.
Je prends le temps de savourer les derniers mètres, après 17h36 d’effort, je suis content d’arriver, je suis ultra runner, comme les autres ! Le speaker a annoncé mon arrivée, je fais bonne figure de faire un sourire en passant la ligne.
J’ai atteint mon graal, les jambes lourdes mais le cœur léger, je me surprends d’avoir couru jusqu’à la fin, j’ai pris du plaisir, maintenant, je veux juste rejoindre mes copains et savourer ensemble.

Ce sport individuel atteint une vraie dimension collective, où on vit ensemble, on ressent les mêmes émotions même si physiquement on n’est pas forcément ensemble.
C’est une alchimie délicate à expliquer, mais on ne se sent jamais aussi fort que lorsque l’on est dans la difficulté, et on forme une vraie équipe ! ça dépasse le chrono, les km, on a ressenti les mêmes émotions, on a construit une histoire à 4, sans eux, je ne finis jamais.

C’est pourquoi je voudrais les (Félix et Emeric) remercier pour leurs précieux conseils, leurs encouragements qui m’ont accompagné tout au long de cette journée.
Henri, encore bravo et chapeau pour cette « balade » ensemble, quelle performance, tu mérites tellement d’être finisher, c’est dommage mais moralement tu as été à la hauteur et très digne, impressionnant !

Bizarrement, on pourrait croire, que l’on est gavé de km, mais il me tarde de rechausser les running, d’aller courir et de nouveau partager des sensations, des émotions avec les copains. Un p’tit coup de blues m’envahit, c’était chouette ce truc !
A titre perso je suis ultra runner, j’ai l’impression d’entrer dans une caste un peu spéciale et de rejoindre modestement le monde de mes copains.

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