« Nous partîmes 4, mais point de prompt renfort, nous nous vîmes 2 en arrivant à bon port »
… ainsi se résume notre croisade contre le temps que je m’en vais vous conter.
L’histoire commence quelques mois auparavant. Déçu de n’avoir pas pu m’inscrire au grand raid de la Réunion pour revivre l’émotion vécue en 2008, frustré également par 5 mois d’arrêt forcé pour cause de blessures, il me fallait un nouveau défi, avec mes copains coureurs de l’AS. Je leur propose de nous inscrire sur une course qui me fait rêver depuis plusieurs années : les Templiers, en Aveyron. Henri Pouget etBenoit Blondel , novices sur ce type de course de plus de 100 km , me suivent finalement dans cette aventure ainsi qu’Emeric Virton , jamais très difficile à convaincre lorsqu’il s’agit de vivre cette passion commune du trail qui nous anime depuis 2006.
Nous voilà parti, ce 21 octobre, pour traverser la France en voiture, afin de rejoindre Millau, théâtre de l’Endurance Trail des Templiers : une course de111 km avec près de 4600m de dénivelés positifs, dans les gorges du Tarn, de la Jonte et de la Dourbie et sur les plateaux rocailleux, falaises et ravins des Causses. Aux mêmes moments, à 10 000 km de là, se déroule la Diagonale des Fous sur l’île de La Réunion. Pendant toute ma course, je suivrai en direct, via SMS, la progression d’Arnaud Bihannic , seul inscrit de l’AS SFR cette année.
L’histoire commence quelques mois auparavant. Déçu de n’avoir pas pu m’inscrire au grand raid de la Réunion pour revivre l’émotion vécue en 2008, frustré également par 5 mois d’arrêt forcé pour cause de blessures, il me fallait un nouveau défi, avec mes copains coureurs de l’AS. Je leur propose de nous inscrire sur une course qui me fait rêver depuis plusieurs années : les Templiers, en Aveyron. Henri Pouget et
Nous voilà parti, ce 21 octobre, pour traverser la France en voiture, afin de rejoindre Millau, théâtre de l’Endurance Trail des Templiers : une course de
Le départ est prévu à 4 heures du matin. Nous nous réveillons donc à 2h30 du matin pour rejoindre les quelques 700 coureurs agglutinés sous l’arche. La température est proche de 0°C , je frissonne. Je me sens bien, quoique pas très bien réveillé, mais serein et sans pression. J’ai maintenant l’expérience de ce type de course et me suis fixé l’objectif ambitieux de finir en 15h et dans le top 50. Je tanne Benoit de faire la course avec moi, mais il préfère vivre sa grande première fois en ultra-running sur des bases prudentes de 17~18h de course. L’excitation est à son comble lorsque la musique d’Era raisonne dans les rues endormies de Millau.
Nous nous encourageons une dernière fois et puis « PAN » c’est parti !
Nous nous encourageons une dernière fois et puis « PAN » c’est parti !
Je pars doucement en pensant que Benoit me suit juste derrière. Un rapide coup d’œil en arrière, non, il n’est plus là. Bon je me dis que je le verrai plus tard lors d’un ravitaillement. Le début du parcours longe le Tarn en faux plat montant sur environ 4 km. Soudain j’aperçois Emeric juste devant, il a du partir vite. Nous échangeons quelques mots, il a de bonnes sensations alors il en profite ! Je le passe et l’encourage pour la suite. La nuit est magnifique, le ciel dégagé laisse apparaître des myriades d’étoiles et une pleine lune majestueuse. Je commence à avoir chaud avec ma veste GoreTex et mes manchons Lycra. Mais dès que le sentier descend, je prends de la vitesse et avec le vent, le froid m’envahit. Jusqu’au lever du soleil j’oscillerai incessamment entre trop chaud et frissons, au gré des dénivelés. Ma lampe frontale surpuissante me réchauffe agréablement la tête et m’apporte un confort et un avantage certain sur les autres coureurs.
La première difficulté sérieuse se présente avec la côte de Carbassas : 500m D+ dans une forêt épaisse. Je monte tranquillement en marchant. Je pense à ma femme et mes enfants qui dorment encore, bien au chaud, il est 5h du matin…
Je suis accompagné de 3 concurrents et nous courons en nous relayant pendant une dizaine de km à flan de montagne. Puis je m’envole, ‘’plein phare’’ dans la vertigineuse descente vers Peyreleau. Soudain, je manque de me prendre une branche dans l’œil et m’en tire avec une belle balafre à la tempe, ouf j’ai eu de la chance. Un moment d’inattention peut mettre un terme à l’aventure.
1er ravitaillement – Peyreleau – km 23, 2h26 de course (83ème).
Je retrouve avec surprise le petit pont de pierre qui traverse le Tarn à Peyreleau. Ce pont, nous l’avions déjà traversé 3 ans plus tôt, lors de notre participation aux 100km de Millau. Je profite d’un ravitaillement express pour remplir mon CamelBack et repartir aussitôt à l’assaut du versant opposé des gorges du Tarn. Après 3 heures de course, les premiers signes de fatigue se manifestent. Le vent et le froid commencent à me donner des douleurs abdominales. Serais-je parti trop vite ? Nous devons encore monter pendant 13 km avant le prochain ravitaillement à Saint Rome de Dolan. Les douleurs deviennent plus vives et insupportables, je dois m’arrêter d’urgence. Je laisse filer devant quelques dizaines de coureurs. Tant pis, je les rattraperai plus tard, pour l’instant, je dois reprendre possession de tous mes moyens. Je repars à l’attaque bien concentré. Je m’économise dans les montées, je relance dès que le sentier me permet de courir.
Le jour se lève enfin, je prends une photo de la gorge du Tarn qui se révèle, brumeuse, à l’approche du second ravitaillement.
2ème ravitaillement – Saint Rome de Dolan – km 38, 4h25 de course (63ème)
De nouveau, je ne traine pas, juste le temps de remplir à ras bord ma réserve d’eau et je repars, seul, pour une descente très technique vers le fond de
Ensuite Benoit m’appelle, il est accompagné d’Henri et ils arrivent au 2ème ravito. Ils ne sont qu’à 40 minutes derrière moi. Je suis rassuré, tout va bien pour eux et ils font équipe, c’est super, ils vont se motiver l’un l’autre. La fin de l’ascension est très raide, avec des lacets serrés. Je rattrape un concurrent arrêté qui me parait bien mal en point. Il m’explique qu’il ne peut plus avancer et qu’il n’arrive plus à s’alimenter, incapable d’avaler du sucré. Je pense avoir la solution, et je sors ma botte secrète : un savant mélange noix de cajou / saucisson. Idéal pour les moments de moins bien. L’effet est immédiat et nous repartons vers le plateau qui surplombe encore et toujours le Tarn. Une inscription km 50 est marquée sur la piste, je suis agréablement surpris et me dis que dans 5 km, c’est la moitié !
Je poursuis ma course en solitaire au milieu d’une vaste étendue inhabitée et j’attends le prochain ravitaillement prévu au km 64. Les paysages des gorges de la Jonte ont beau être sublimes, mais où est donc passé ce ravito ???
Ma femme m’appelle au téléphone pour m’encourager, ça me fait un bien fou. Je suis dans ma bulle, concentré, je n’ai plus aucune notion du temps, de l’heure ni du monde extérieur, c’est troublant comme sensation. Je suis complètement dans la course, je m’hydrate le plus souvent possible pour éviter les crampes, je profite de la beauté des paysages et dès que je peux, je prends des photos que je poste en live sur Internet pour partager ces moments avec mes proches qui suivent mon aventure (merci à tous).
Je redescends tout au fond de la vallée pour retrouver une trace de civilisation le village nommé Les Douzes. Un bénévole m’y annonce que nous sommes bien au km 64 mais qu’il y a eu une erreur dans le roadbook et que le ravitaillement se trouve à Veyreau, c'est-à-dire au sommet du versant opposé, 6 km plus loin ! Cela fait déjà 4 heures que j’ai quitté Saint Rome, je commence à être à sec avec mes
3ème ravitaillement – Veyreau – km 70, 9h10 de course (40ème)
Il reste un marathon à courir, il est 13h10, je suis dans les temps et me mets à croire à une arrivée avant la tombée de la nuit.
Ma remise en route est douloureuse, mes jambes sont lourdes et il me faut quelques longues minutes pour retrouver une foulée digne de ce nom. Une étroite piste chemine longuement sur le haut plateau qui me mène à Saint André de Vézines, Je rattrape très lentement la 2nde féminine qui avance à la même vitesse que moi sur le plat et dans les montées. Pour enfin creuser l’écart avec elle, je dois attendre la périlleuse descente vers les nouvelles gorges qui s’offrent à moi, celles de la Dourbie que je longe en arrivant au prochain village qui accueille le 4ème ravitaillement.
Ce ‘’duel’’ m’a éprouvé physiquement, je commence à manquer de lucidité si bien que je trébuche sur une racine mais j’évite de justesse une lourde chute dans les rochers en me rattrapant miraculeusement à un arbuste chétif. Je sens que la course bascule pour moi, il me reste 25 km à faire et les douleurs gastriques reviennent subitement, certainement dues au régime ultra énergétique que j’impose à mon organisme depuis plus de 11h d’efforts.
4ème ravitaillement – La Roque Sainte Marguerite – km 86, 11h15 de course (33ème)
A peine un bonjour aux bénévoles et je repars aussitôt alors que la 2nde féminine arrive à son tour au ravito … fichtre elle est coriace, elle est revenue sur moi … Une longue montée m’attend, Je ne me souviens plus du tout du profil de cette fin de course, je me raccroche à la description imagée de Benoit : la fin c’est un W me répétait-il avant la course ! En toute logique, il doit rester deux montées et deux descentes, je dois tenir … Que c’est long …
Il fait très chaud sous le soleil, je lutte mentalement pour ne pas m’arrêter dans la montée, je serre les dents, j’ai le souffle court … je poste un message et une photo sur facebook appelant aux encouragements, j’en ai bien besoin et ils ne tardent pas à faire biper mon smartphone.
Enfin j’aperçois le sommet, et deux bénévoles m’orientent vers une descente hors piste à travers une végétation dense et aride qui griffe bras et jambes. Je récupère de bonnes sensations dans cette descente et je me demande combien de temps mes quadriceps vont tenir. Je fonds littéralement sur un petit groupe de 5 coureurs et je me colle derrière car de nouveau ça remonte et devant moi ne se dressent que des falaises. J’imagine que nous devons franchir cette barre rocheuse, mais où et quand ? Sans cesse, nous alternons montées à pic puis dégringolades, je suis complètement cuit. Je m’accroche toujours derrière le groupe qui me distance dans les montées. C'est tellement raide que je suis obligé de m’aider de mes mains. Je recolle au groupe dans les descentes. Je n’ose même pas imaginer le passage des coureurs ici de nuit, car l’après midi est bien avancée. Enfin nous passons le col, une équipe de pompiers nous annonce que le ravito n’est plus loin et que c’est tout plat … 1 heure après nous y sommes toujours, ce n’est vraiment plus marrant, j’en ai assez, je débranche le cerveau et avance machinalement, tel un zombie. Un concurrent revient de l’arrière à toute vitesse, si j’osais … allez je tente de le suivre, je m’accroche, poussé par je ne sais quelle réserve d’énergie insoupçonnée. Nous distançons rapidement le petit groupe qui lâche petit à petit ce rythme infernal. Je me demande combien de temps il va tenir, il se retourne, on discute et enfin, il ralentit dans les montées. Nous arrivons enfin à la ferme du Cade.
J’attaque seul la descente tout schuss dans les pierriers en m’accrochant comme je peux aux filins métalliques dont les frottements me brulent les mains. Un panneau annonce l’arrivée à 4 km, ça y est j’y suis presque. Mais, pourquoi ça remonte ? Je ne comprends plus, je reprends mon souffle, suis-je sur le bon parcours ? Pas le temps de gamberger très longtemps car j’arrive face à la falaise et devant l’entrée de la grotte du hibou. J’y entre mais je dois en ressortir car il y fait nuit noire. Du coup, maintenant je comprends le coup de la frontale …
Je suis toujours seul, personne en ligne de mire devant et personne sur mes talons. J’aperçois enfin Millau et son magnifique viaduc. Je ne pense plus qu’à franchir l’arrivée car je n’en peux vraiment plus. Allez un dernier effort pour rejoindre le centre ville et voilà je passe la ligne, alors que le speaker m’annonce que je termine 25ème au classement hommes. Emeric est là, il partage ma joie et immortalise mon chrono. Je suis épuisé et fier d’être allé au bout de cette croisade de plus de 15h d’efforts.
L’arrivée à Millau – km 111 – 15h15 de course (classement scratch 27ème)
Un peu plus tard Benoit arrive seul. Il est aux anges, il a réussi brillamment son 1er ultra (94ème en 17h30). Je suis heureux pour lui. Nous n’attendons plus qu’Henri qui n’a pas pu suivre Benoit sur la fin de course. Il nous appelle peu après et nous annonce qu’une blessure à la cuisse l’a malheureusement contraint à l’abandon, à 10km seulement de l’arrivée. C’est rageant pour lui mais sa performance reste néanmoins extraordinaire, lui qui n’avait jamais couru une telle distance auparavant. Je leur tire mon chapeau, bravo les gars et bienvenue parmi les coureurs d’ultra !