Millau,
Aveyron, France, 21/10/2011, Par Seb Trublin
Depuis tout petit j’aime bien me déguiser, je ne sais pas
pourquoi mais c’est comme ça.
Alors quand on m’a dit qu’il existait la course des
Templiers je me suis dit chouette, monte au grenier chercher ta panoplie de
chevalier et inscris toi.
C’est ce que j’ai fait…. Mais quand j’ai vu le parcours de
106km avec 4500m de D+ à travers les Causses, j’ai laissé tomber la côte de maille, le casque, le bouclier et
l’épée…et j’ai sorti le sac à eau, le sifflet, la couverture de survie et les
Salomon™ , beaucoup plus adaptés pour mener à bien cette croisade !
20 octobre c’est le jour du grand départ, direction
l’aventure, les paysages à couper le souffle, la douleur à couper les jambes ?,
le plaisir !!!.
Tiens d’ailleurs, « le plaisir est-il décuplé par
la douleur ? » : ce fut l’un
des sujets du bac philo pour les élèves de terminale S…M.
Et plutôt que de cogiter des heures interminables dans une
salle de classe surchauffée par les rayons d’un soleil de fin de printemps
caniculaire, nous (Nabil El Mansouri, Eric Chupin, Yann Verlynde, Guillaume
Dupré, Edgar Simon, Henri Pouget, JF Magne et moi), les représentants de la
section running de l’AS Groupe SFR (une section dynamique, pleine de vie et de
gens sympa, tout ça pour seulement 60€ par an douches incluses, inscrivez-vous,
il n’est jamais trop tard), sommes allés nous rendre compte sur place si la théorie
était confirmée par la pratique.
Le sujet étant énoncé, il faudra bien ces 106km, 4500mD+ et
une bonne journée de course pour poser sa réflexion et argumenter sa
dissertation. (Pour ceux qui étaient au fond de la classe vous pouvez sécher
le cours et aller tout droit à l’essentiel en bas de page):
(Honteusement pompé sur
Wikipédia :
et amendé à ma sauce :-). De là à dire qu’entre
course à pied et philosophie il n’y a qu’un pas…:
« La sensibilité,
nous l'avons vu, est la faculté d'éprouver du plaisir et de la douleur.
Qu'est-ce donc que le plaisir et la douleur? On ne saurait donner à cette
question une réponse parfaite. On peut seulement déterminer les caractères du
plaisir et de la douleur, et en chercher les causes.
Ces états de conscience
présentent trois caractères essentiels:
1. Le plaisir et la
douleur sont des phénomènes affectifs, c'est-à-dire se produisent en nous sans
que nous intervenions. Quand nous les éprouvons nous sommes passifs. Il n'y a
pas, à vrai dire, d'absolue passivité dans la vie psychologique. Nous
réagissons bien soit pour affaiblir la douleur, soit pour augmenter le plaisir,
mais la passivité n'en prédomine pas moins dans les faits de ce genre. (et pour faire
l’inverse il faut être inscrit à l’AS Running)
2. Le second caractère de
ces faits est leur nécessité. Ils se produisent fatalement. Nous ne pouvons les
empêcher de naître. Ils sont la conséquence nécessaire d'un évènement
antérieur: nous ne pouvons les modifier qu'en modifiant l'évènement qui les a causés.
(ou en
souscrivant une assurance annulation lors de son inscription en ligne).
Cependant par la volonté,
nous pouvons détourner le regard de notre conscience du plaisir ou de la
douleur, ou les rendre plus intenses en fixant sur eux notre attention; nous
pouvons trouver dans la douleur même des plaisirs très délicats: la mélancolie (ou le trail) par exemple; mais malgré ces différentes
influences que nous avons sur ces sentiments, nous n'en sommes jamais maîtres
absolus. C'est là l'illusion des stoïciens et des épicuriens, qui ont cru
pouvoir par la seule volonté, supprimer la douleur. (effectivement nous avons essayé, après le
100e km ça ne fonctionne plus…)
3. Le troisième caractère
de ces sentiments est la relativité. Tout ce qui est sensible est relatif, ce
qui est plaisir pour l'un est douleur pour l'autre(cf « la crampe » dans Pulp Fiction…).
L'homme qui s'est livré aux travaux manuels y trouve toutes ses joies. L'homme
qui a vécu dans les exercices intellectuels ne voit dans les travaux du corps
qu'une fatigue, une souffrance. (tout à fait : Le
traileur érudit type de la section running pense au bout du 80e km qu’il faut être demeuré pour s’embarquer dans
des courses pareilles, mais après le franchissement de la ligne d’arrivée, sous
le joug de l’endorphine et du plaisir du défi relevé, ledit traileur n’a qu’une
envie : y retourner)
Passivité, Nécessité,
Relativité sont donc les trois caractères des phénomènes affectifs (Et de l’ultra
trail).
Cherchons maintenant leur
cause. Suivant certains philosophes le plaisir ne consiste que dans l'absence
de la douleur. On ne peut avoir de plaisir sans connaître la douleur; ce sont
deux ennemis, et l'on ne peut pourtant avoir l'un sans l'autre. C'était déjà
l'opinion de Platon. [Note: Phédon]. Plus récemment, Schopenhauer a repris
cette thèse dans l'ouvrage Le monde comme volonté et représentation. La douleur
est suivant lui le fait positif, primitif. Le plaisir est seulement sa
cessation. En effet dit-il, pour éprouver du plaisir à posséder quelque chose -
par exemple, il faut commencer par avoir désiré ce quelque chose, par avoir
trouvé qu'il nous manquait. Or ce manque est douloureux: le plaisir sort donc
de la douleur.
(voilà, c’est ça : pour bien apprécier
l’ultratrail, faut d’abord commencer par avoir ultra mal aux quadris)
Cette doctrine a de
tristes conséquences: si le plaisir n'est que l'absence de la douleur, s'il
nous faut acheter la moindre jouissance par une souffrance préalable, la vie
est bien sombre, et il ne vaut guère la peine de rechercher ce plaisir qu'il
faut pour ainsi dire payer comptant. A tout le moins la vie serait elle
indifférente. Mais le plaisir compense-t-il même exactement la douleur?
Egale-t-il les souffrances supportées pour l'obtenir? Schopenhauer croit que
non. La vie vaut-elle dès lors la peine d'être vécue? Le philosophe allemand,
fidèle à la logique, n'hésite pas à répondre: Non. (Faut quand même pas pousser, bon, à sa
décharge ils n’avaient pas de runnings au 19e siècle, Schopenhauer n’a donc pas
pu faire de trail, donc pas pu trouver de plaisir, donc trouver que la vie ne
vaut pas d’être vécue…CQFD)
D'après une autre
doctrine, la cause du plaisir serait dans la libre activité. […]Voici cette
théorie: Nous jouissons quand notre activité se déploie librement. Nous
souffrons quand elle est comprimée. (et dans le trail, perdus au milieu de nulle part, en
pleine nature, on jouit vraiment d’un sentiment de liberté !) Où
trouver en effet une cause de plaisir, sinon dans la liberté? Le plaisir de
l'être c'est son action propre, [Greek phrase]. Cette théorie d'ailleurs
explique fort bien la plupart des faits. Les exercices musculaires (comme le
trail), les couleurs brillantes (comme celles de mes chaussures de trail), les
études (comme
la préparation du roadbook), les plaisirs intellectuels (comme lire le
magazine Ultrafondus) nous
plaisent parce que nos divers modes d'activité y trouvent leur déploiement. Il
est donc certain que l'activité libre est au moins la principale cause du
plaisir (donc
trail=plaisir).
Mais est-ce la seule? La
théorie précédente ne rend pas compte de la douleur qu'on éprouve après une
grande dépense d'activité dirigé toujours dans le même sens (comme monter
400mD+, descendre 300mD-, monter 350D+, descendre 400 D-, monter 450D+,…).
Pas plus qu'au commencement l'activité ne rencontre pourtant d'obstacle. C'est
que pour produire le plaisir l'activité doit être encore non seulement libre,
mais variée (monter,
descendre, monter, descendre, monter descendre,…); il faut pour être
agréable qu'elle change de forme (forêt, pierrier, montagne, village pittoresque,...).
Cela seul explique le vif plaisir reconnu de tout temps et causé par le pur
changement. En outre, cela explique le plaisir qu'on éprouve au repos, dans
l'inaction (autrement
dit la récup’): l'activité alors n'a pas encore pris de forme. Aussi
dans l'imagination, elle semble pouvoir en prendre une infinité, et c'est
justement cette variété qui fait le plaisir de l'inaction (Ok, mais à un moment faut quand même y
aller ! sinon on termine en jogging devant téléfoot…). […]
La libre activité et la
variété sont donc les deux causes du plaisir (Sans oublier le trail). »
Stuart Mill. Philosophy of Hamilton. Chap. XXV
Hamilton's Lectures (où sont écrites et développées les
théories d'Aristote et de Platon) II, Lect. XLIII
Bouillier. Du plaisir et de la douleur.
Aristote. Morale à Nicomaque, Livre X.
Platon. Phédon, [title unclear], Philèbe.
En conclusion donc, nous nous accordons tous à dire que :
- La nuit, le départ à 4h du matin par 1°C c’est tôt, qu’il fait tout noir et qu’il fait froid.
- Que nous étions venus pour relever un défi : franchir la barre symbolique des 100km.
- Que nous savions que ce serait difficile.
- Que l’ultra des templiers ça se mérite.
- Que les Cévennes sont magnifiques.
- Que les Causses sont somptueux.
- Que nous n’avons pas été déçus !
- Que nous avons trouvé ce nous étions venus chercher…
Cet Ultra nous aura également rappelé que l’humilité est la
première des qualités dont il faut faire preuve en trail :
Chacun de nous est passé par des moments (très) difficiles
et a dû aller chercher des ressources au plus profond de lui pour continuer
d’avancer : je pense à Yann qui, blessé au 30e km, a continué jusqu’au
bout à la force de la volonté, à Eric qui aurait voulu continuer mais s’est fait
rattraper au 83e km par la barrière horaire, à Henri complètement hagard
au dernier ravito du 98ekm mais qui repart et nous autres Jeff, Guillaume,
Edgar et moi pris de doutes dans les portions interminables du parcours entre
le 83e et le 98e km…).
Pour autant ces turpitudes demeurent bien peu de chose face à
l’esprit d’équipe dont chacun a pu faire preuve, face à la beauté et à l’immensité des paysages, face
à l’expérience humaine que représente un
tel défi !
Finalement le détournement fantaisiste des théories philosophiques
ci-dessus n’est peut-être pas si loin de la vérité que cela et mérite peut-être
relu avec attention ;-)
Car si le plaisir est décuplé par la douleur, si c’est dans
la difficulté que l’on reconnait ses vrais amis, c’est dans l’ultratrail que l’on sait sur qui
l’on peut compter !
…
AS Running SFR : accélérateur d’émotions !
Classement
|
Nom Prénom
|
Temps
|
42
|
EL
MANSOURI Nabil
|
15:18:42
|
119
|
MAGNE Jean-François
|
17:57:08
|
118
|
TRUBLIN Sébastien
|
17:57:08
|
295
|
DUPRE Guillaume
|
20:29:52
|
296
|
VERLYNDE Yann
|
20:29:53
|
308
|
SIMON Edgard
|
20:39:29
|
309
|
POUGET Henri
|
20:39:31
|
non classé
|
CHUPIN Eric
|
11:53:19 de course
|